Face aux inévitables
divergences d’opinion avec sa monture, le cavalier ne dispose d’aucune
solution toute faite. Il lui faut en tout cas se méfier autant de la violence que du laxisme, sous peine d’inefficacité équestre.
Les chevaux n’ont pas du
tout le même sens moral que les humains... Pour un poney, brouter le plus
souvent possible est une obligation génétique ; pour un étalon,
saillir la jument en chaleur croisée sur la carrière est une nécessité
biologique ; pour le poulain, se débarrasser de l’inquiétant prédateur
qui se cramponne sur son dos est une question de survie ! Comment
reprocher soudain aux chevaux d’être des chevaux, alors que c’est ce qui
fait leur charme d’habitude ?
En les obligeant à
renoncer à certaines de leurs aspirations les plus essentielles, l’équitation
engendre quelques refus et protestations : un équidé sain d’esprit
n’acceptera pas forcément de courir lorsqu’il n’a y pas de danger, de
rester immobile lorsqu’un tracteur lui frôle les moustaches,
ou de sauter des obstacles qu’il pourrait contourner...
Ce sacrifice demandé au
cheval semblait aller de soi tant qu’il était considéré comme un outil.
Mais aujourd’hui, il a cessé d’être une machine agricole, un moyen de
transport, ou de la chair à canon, pour accéder peu à peu au statut
d’animal familier ; on se met à l’aimer, à vouloir son bonheur. Et
bien des propriétaires répugnent désormais à le contrarier, à le forcer,
ou pire, à lever la main sur lui.
Les risques de la violence
Même si c’est un
spectacle fréquent au bord des terrains, l’idée de taper sur sa monture,
de lui poinçonner le ventre, ou de lui casser quelques dents reste
heureusement choquante pour la majorité des cavaliers. La brutalité n’a
qu’un seul avantage, défouler le cavalier frustré. Car sur un animal aussi
timide et sensible que le cheval, c’est toujours la pire des solutions.
Peut-être obtiendra-t-on une apparence de résultat : un regain d’obéissance
et d’attention, le franchissement de l’obstacle ou du passage difficile
qui posait problème... Mais le cheval qui souffre est incapable de réfléchir,
de comprendre, de progresser. Lui faire mal, c’est ranimer sa peur du
cavalier “ prédateur ”, c’est perdre sa confiance et sa sérénité.
Le problème immédiat est réglé, parfois, mais une belle brochette de
soucis se prépare pour l’avenir.
Les accès de violence
sont généralement un aveu d’impuissance, la seule issue qui reste lorsque
le cavalier a épuisé son savoir-faire et ses idées. Qui n’a pas cédé un
jour ou l’autre à cette facilité, qui consiste à faire inutilement
parler la cravache, le mors ou l’éperon, parce qu’on ne sait plus du tout
comment se faire entendre ? Un peu plus tard on découvre, au hasard
d’un livre, d’un stage, d’une conversation, la méthode ou l’exercice
qui manquait. Tout progrès de la compétence fait reculer les abus physiques,
automatiquement.
Il est malheureusement
impossible de placer une limite précise entre la punition “ acceptable ”
et la violence inutile. Les réactions des chevaux
varient en fonction de leur sensibilité et des expériences déjà
subies : un petit coup de cravache n’aura aucun effet sur un vieux
routier de manège désensibilisé par des générations de débutants,
tandis qu’il fera “ sauter en l’air ” un poulain au débourrage.
Dans le premier cas, l’intervention est insuffisante pour jouer le rôle de
punition, dans le second, c’est une brutalité excessive.
Une chose est sûre, moins
on fait subir de désagrément à sa monture, meilleure est l’équitation. Même
les punitions les mieux proportionnées contractent le cheval, perturbent le
mouvement en cours, et dégradent la relation. La “ bonne ”
punition n’existe pas. Il faut s’efforcer de choisir la “ moins
pire ”.
Les risques de la non-violence
À l’opposé des
gros-bras et des frénétiques de la cravache se développe actuellement de
plus en plus une nouvelle race de cavaliers “ fleur bleue ”,
amoureux de leur monture, et
opposés à toute forme d’agression physique. Ils regardent les gaules et
les chambrières avec un air dégoûté, rangent les éperons du grand père
avec son mors à levier dans un petit musée de la barbarie, rêvent de monter
en licol, et considèrent comme un génie équestre toute personne capable de
diriger son cheval tête nue. Et s’il y a une chose qu’il n’ont pas
envie d’entendre, c’est que “ parfois, la douceur n’est pas la
bonne solution ”. Ne zappe pas tout de suite, ô infidèle lecteur,
laisse-moi m’expliquer...
Il arrive de temps à
autre, c’est indéniable, que le cheval ne soit pas tout à fait d’accord
avec ce que lui demande son cavalier. Supposons par exemple que mon appaloosa
est en train de brouter. Moi, j’ai envie de reprendre ma promenade. Lui, de
garnir son joli ventre rond. Nous sommes donc manifestement en désaccord. Je
commence par lui demander le départ avec politesse, à la voix. Pas de réponse !
J’essaie une délicate pression de jambes ; toujours rien. Je
m’aventure alors jusqu’à tirer un peu sur les rênes, sans résultat. Que
faire ? Est-il bien raisonnable d’attendre qu’il n’ait plus envie
de brouter, sachant qu’il est capable de se livrer à cette occupation
pendant plus de 12 heures par jour ? Certes non, à moins de se
passionner pour cette nouvelle discipline équestre, qui consiste à marcher
à 0,5 km/h en descente d’encolure, en multipliant les flexions de mâchoire...
Soyons raisonnable :
je suis un cavalier doux, mais je voudrais quand même me promener un peu plus
vite. Logiquement, je vais augmenter un peu l’intensité de mes actions de
jambes ou de main, pour redémarrer. Un peu plus fort, un peu plus fort... Au
troisième coup de talon, victoire, voilà enfin mon tacheté qui redémarre
et la balade qui reprend. Hélas, 50 mètres plus loin, après une dernière
mastication, il avale la fin de sa bouchée, et plouf, nous revoilà arrimés
à une touffe d’herbe. Je suis un cavalier doux, mais je voudrais quand même
me promener un peu, et je recommence à tirer sur les rênes et à talonner,
avec un peu plus de conviction que tout à l’heure, pour ramener l’équipage
sur le droit chemin. Et ainsi de suite... À la 7ème touffe
d’herbe, j’en suis à m’arc-bouter sur les rênes ; à la 13ème,
je coupe une branche de noisetier. Avec désespoir, je m’aperçois que je
suis obligée d’employer des aides de plus en plus fortes pour me faire obéir.
Mais sont-ce encore vraiment des aides ? Ne serais-je pas entrée sans le
vouloir dans l’infâme spirale de la violence ?
Cet exemple ressemble sans
doute à une caricature, mais la plupart des cavaliers l’ont déjà plus ou
moins vécu. Le problème des aides progressives, qu’on fait augmenter
lentement jusqu’à obtenir un résultat, c’est qu’elles désensibilisent
le cheval ! (revue n°329). On en arrive à des interventions vraiment désagréables
parce qu’on n’a pas su “ sévir ” assez tôt. Le cavalier
qui monte sans cravache finit par donner des coups de talons terribles, celui
qui a choisi un gros filet en caoutchouc risque de tirer dessus à bras
raccourcis...
À la première touffe
d’herbe, lorsque mon appaloosa a refusé d’écouter les aides douces que
l’employai pour redémarrer, j’aurais dû lui donner aussitôt un petit
coup de cravache, juste assez fort pour qu’il s’en souvienne encore, 50 mètres
plus loin, en passant devant la touffe d’herbe suivante ! C’est tout
le paradoxe de la punition... Si on la dose avec trop de parcimonie, elle perd
son effet. Entre le risque de la violence et celui de l’inefficacité, l’équilibre
est décidément difficile à trouver...
(à suivre...)
Encadré
Punitions involontaires
Nos montures subissent régulièrement
des agressions injustes à cause de notre maladresse ou de notre incompétence. Des éperons qui se raccrochent,
des mains qui s’agrippent à la bouche pour assurer l’équilibre... Chacun
ferait bien de balayer un peu plus souvent devant sa porte. La punition présente
au moins un avantage pour le cheval, c’est qu’il peut faire en sorte de l’éviter.
Encadré
0% de punition ” ? Fuyez l’arnaque
Si vous rencontrez un cavalier qui se targue de ne jamais recourir à la
punition, méfiez-vous ! C’est probablement qu’il monte un “ simulateur
équestre ”. Seule une machine est toujours d’accord avec celui qui
l’utilise (quoique...). Un vrai cheval garde toujours un zeste de
libre arbitre. Certes, par un usage judicieux des récompenses, il est
possible de réduire au maximum la fréquence et l’intensité des
punitions. Un simple mot, un petit geste, une demi-tension des rênes
peuvent en tenir lieu. Mais celui qui prétend s’en passer complètement
vous ment ou se ment à lui-même... À moins qu’il ne joue sur les mots,
par exemple en remplaçant le mot punition
par le mot inconfort, qui plaît davantage aux oreilles délicates.
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