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Savoir dire "non"
(1ère partie) : D’un extrême à l’autre
(2ème partie) : Les méthodes 

article de Véronique de Saint Vaulry


Face aux inévitables divergences d’opinion avec sa monture, le cavalier ne dispose d’aucune solution toute faite. Il lui faut en tout cas se méfier autant de la violence que du laxisme, sous peine d’inefficacité équestre.

Les chevaux n’ont pas du tout le même sens moral que les humains... Pour un poney, brouter le plus souvent possible est une obligation génétique ; pour un étalon, saillir la jument en chaleur croisée sur la carrière est une nécessité biologique ; pour le poulain, se débarrasser de l’inquiétant prédateur qui se cramponne sur son dos est une question de survie ! Comment reprocher soudain aux chevaux d’être des chevaux, alors que c’est ce qui fait leur charme d’habitude ?
En les obligeant à renoncer à certaines de leurs aspirations les plus essentielles, l’équitation engendre quelques refus et protestations : un équidé sain d’esprit n’acceptera pas forcément de courir lorsqu’il n’a y pas de danger, de rester immobile lorsqu’un tracteur lui frôle les moustaches, ou de sauter des obstacles qu’il pourrait contourner...
Ce sacrifice demandé au cheval semblait aller de soi tant qu’il était considéré comme un outil. Mais aujourd’hui, il a cessé d’être une machine agricole, un moyen de transport, ou de la chair à canon, pour accéder peu à peu au statut d’animal familier ; on se met à l’aimer, à vouloir son bonheur. Et bien des propriétaires répugnent désormais à le contrarier, à le forcer, ou pire, à lever la main sur lui.

Les risques de la violence
Même si c’est un spectacle fréquent au bord des terrains, l’idée de taper sur sa monture, de lui poinçonner le ventre, ou de lui casser quelques dents reste heureusement choquante pour la majorité des cavaliers. La brutalité n’a qu’un seul avantage, défouler le cavalier frustré. Car sur un animal aussi timide et sensible que le cheval, c’est toujours la pire des solutions. Peut-être obtiendra-t-on une apparence de résultat : un regain d’obéissance et d’attention, le franchissement de l’obstacle ou du passage difficile qui posait problème... Mais le cheval qui souffre est incapable de réfléchir, de comprendre, de progresser. Lui faire mal, c’est ranimer sa peur du cavalier “ prédateur ”, c’est perdre sa confiance et sa sérénité. Le problème immédiat est réglé, parfois, mais une belle brochette de soucis se prépare pour l’avenir.
Les accès de violence sont généralement un aveu d’impuissance, la seule issue qui reste lorsque le cavalier a épuisé son savoir-faire et ses idées. Qui n’a pas cédé un jour ou l’autre à cette  facilité, qui consiste à faire inutilement parler la cravache, le mors ou l’éperon, parce qu’on ne sait plus du tout comment se faire entendre ? Un peu plus tard on découvre, au hasard d’un livre, d’un stage, d’une conversation, la méthode ou l’exercice qui manquait. Tout progrès de la compétence fait reculer les abus physiques, automatiquement.
Il est malheureusement impossible de placer une limite précise entre la punition “ acceptable ” et la violence inutile. Les réactions des chevaux varient en fonction de leur sensibilité et des expériences déjà subies : un petit coup de cravache n’aura aucun effet sur un vieux routier de manège désensibilisé par des générations de débutants, tandis qu’il fera “ sauter en l’air ” un poulain au débourrage. Dans le premier cas, l’intervention est insuffisante pour jouer le rôle de punition, dans le second, c’est une brutalité excessive.
Une chose est sûre, moins on fait subir de désagrément à sa monture, meilleure est l’équitation. Même les punitions les mieux proportionnées contractent le cheval, perturbent le mouvement en cours, et dégradent la relation. La “ bonne ” punition n’existe pas. Il faut s’efforcer de choisir la “ moins pire ”.

Les risques de la non-violence
À l’opposé des gros-bras et des frénétiques de la cravache se développe actuellement de plus en plus une nouvelle race de cavaliers “ fleur bleue ”, amoureux de leur monture, et opposés à toute forme d’agression physique. Ils regardent les gaules et les chambrières avec un air dégoûté, rangent les éperons du grand père avec son mors à levier dans un petit musée de la barbarie, rêvent de monter en licol, et considèrent comme un génie équestre toute personne capable de diriger son cheval tête nue. Et s’il y a une chose qu’il n’ont pas envie d’entendre, c’est que “ parfois, la douceur n’est pas la bonne solution ”. Ne zappe pas tout de suite, ô infidèle lecteur, laisse-moi m’expliquer...
Il arrive de temps à autre, c’est indéniable, que le cheval ne soit pas tout à fait d’accord avec ce que lui demande son cavalier. Supposons par exemple que mon appaloosa est en train de brouter. Moi, j’ai envie de reprendre ma promenade. Lui, de garnir son joli ventre rond. Nous sommes donc manifestement en désaccord. Je commence par lui demander le départ avec politesse, à la voix. Pas de réponse ! J’essaie une délicate pression de jambes ; toujours rien. Je m’aventure alors jusqu’à tirer un peu sur les rênes, sans résultat. Que faire ? Est-il bien raisonnable d’attendre qu’il n’ait plus envie de brouter, sachant qu’il est capable de se livrer à cette occupation pendant plus de 12 heures par jour ? Certes non, à moins de se passionner pour cette nouvelle discipline équestre, qui consiste à marcher à 0,5 km/h en descente d’encolure, en multipliant les flexions de mâchoire...
Soyons raisonnable : je suis un cavalier doux, mais je voudrais quand même me promener un peu plus vite. Logiquement, je vais augmenter un peu l’intensité de mes actions de jambes ou de main, pour redémarrer. Un peu plus fort, un peu plus fort... Au troisième coup de talon, victoire, voilà enfin mon tacheté qui redémarre et la balade qui reprend. Hélas, 50 mètres plus loin, après une dernière mastication, il avale la fin de sa bouchée, et plouf, nous revoilà arrimés à une touffe d’herbe. Je suis un cavalier doux, mais je voudrais quand même me promener un peu, et je recommence à tirer sur les rênes et à talonner, avec un peu plus de conviction que tout à l’heure, pour ramener l’équipage sur le droit chemin. Et ainsi de suite... À la 7ème touffe d’herbe, j’en suis à m’arc-bouter sur les rênes ; à la 13ème, je coupe une branche de noisetier. Avec désespoir, je m’aperçois que je suis obligée d’employer des aides de plus en plus fortes pour me faire obéir. Mais sont-ce encore vraiment des aides ? Ne serais-je pas entrée sans le vouloir dans l’infâme spirale de la violence ?
Cet exemple ressemble sans doute à une caricature, mais la plupart des cavaliers l’ont déjà plus ou moins vécu. Le problème des aides progressives, qu’on fait augmenter lentement jusqu’à obtenir un résultat, c’est qu’elles désensibilisent le cheval ! (revue n°329). On en arrive à des interventions vraiment désagréables parce qu’on n’a pas su “ sévir ” assez tôt. Le cavalier qui monte sans cravache finit par donner des coups de talons terribles, celui qui a choisi un gros filet en caoutchouc risque de tirer dessus à bras raccourcis...
À la première touffe d’herbe, lorsque mon appaloosa a refusé d’écouter les aides douces que l’employai pour redémarrer, j’aurais dû lui donner aussitôt un petit coup de cravache, juste assez fort pour qu’il s’en souvienne encore, 50 mètres plus loin, en passant devant la touffe d’herbe suivante ! C’est tout le paradoxe de la punition... Si on la dose avec trop de parcimonie, elle perd son effet. Entre le risque de la violence et celui de l’inefficacité, l’équilibre est décidément difficile à trouver...

(à suivre...)

Encadré
Punitions involontaires
Nos montures subissent régulièrement des agressions injustes à cause de notre maladresse ou de notre incompétence. Des éperons qui se raccrochent, des mains qui s’agrippent à la bouche pour assurer l’équilibre... Chacun ferait bien de balayer un peu plus souvent devant sa porte. La punition présente au moins un avantage pour le cheval, c’est qu’il peut faire en sorte de l’éviter.

Encadré
0% de punition ” ? Fuyez l’arnaque
Si vous rencontrez un cavalier qui se targue de ne jamais recourir à la punition, méfiez-vous ! C’est probablement qu’il monte un “ simulateur équestre ”. Seule une machine est toujours d’accord avec celui qui l’utilise (quoique...). Un vrai cheval garde toujours un zeste de libre arbitre. Certes, par un usage judicieux des récompenses, il est possible de réduire au maximum la fréquence et l’intensité des punitions. Un simple mot, un petit geste, une demi-tension des rênes peuvent en tenir lieu. Mais celui qui prétend s’en passer complètement vous ment ou se ment à lui-même... À moins qu’il ne joue sur les mots, par exemple en remplaçant le mot punition par le mot inconfort, qui plaît davantage aux oreilles délicates.

 

Savoir dire "non" (suite)
(2ème partie) : les méthodes 

(Cheval Magazine n°303)

  Sachant que le cavalier n’est pas infaillible, et qu’il a souvent sa responsabilité dans la désobéissance de son cheval, il ferait bien de réfléchir aux punitions qu’il emploie : une réponse psychologique est souvent plus indiquée qu’une agression physique.

 

Lorsqu’une mouche se pose sur son oreille, le cheval a le choix : soit il subit un désagréable chatouillement, soit il la chasse d’un coup de tête. Des deux solutions, il choisira celle qui lui paraît la plus confortable, en l’occurrence la deuxième. Mais si par malheur il a un cavalier au bout des rênes, le choix devient cornélien : faut-il écarter la mouche en prenant le risque de se cogner contre le mors, ou préserver sa bouche mais subir un désagréable chatouillement ?
Ainsi va la vie de notre partenaire, à la recherche permanente du confort. Au contraire du chien, pour qui, dès l’enfance, la satisfaction du maître constitue une forte motivation, notre monture, plus égocentrique, peut sembler dépourvue de tout sens moral : oui, elle est capable d’envoyer au tapis ce cavalier qui lui paie une pension hors de prix. Oui, elle est capable de goûter un morceau de sa tendre propriétaire, ou de faire 3 refus sur le n°1 du parcours le plus important de votre vie. Mais ce n’est pas de la méchanceté, comme beaucoup de cavaliers semblent le croire. Seulement le choix de l’option qui lui paraît la plus confortable, moralement et/ou physiquement.
Tout l’art du bon cavalier consiste donc à faire en sorte que la balance des motivations penche du côté qui l’arrange. Pour ce faire, il dispose de 2 moyens : les récompenses, pour rendre la bonne action plus agréable, les punitions, pour rendre la mauvaise action moins agréable.

Ne pas récompenser la faute
Avant même d’opter pour une forme ou une autre de punition, il importe de traquer les erreurs stratégiques, les cas ou le cavalier laisse son cheval tirer bénéfice de la désobéissance. Par exemple lorsqu’il renonce, ou du moins qu’il en donne l’impression. C’est une erreur typique de débutant, que chacun a commise en son temps : “ Je veux tourner à droite, mon poney n’obéit pas et tire à gauche... Bof, finalement, ce sera plus simple d’aller à gauche ! ”. On retrouve le même processus à l’obstacle, lorsque le fringant coursier dérobe, et que son fier pilote, constatant que c’est raté pour cette fois, ne perd pas son temps à le ramener face à la barre, et repart directement pour un tour. Ou en extérieur, lorsqu’un explorateur hardi projette la traversée d’une rivière, se heurte à un refus bien sec de son partenaire, et décide finalement de passer par le pont. Dans ces conditions, la résistance du cheval est un succès, ce qui lui laisse toute chance de se reproduire et de devenir de plus en plus ferme et systématique. Alors il deviendra de plus en plus difficile de rectifier le tir en douceur. Or il suffirait généralement de continuer à demander, calmement, pour convaincre sa monture que toute résistance est inutile. Question de temps et de patience, dont nous manquons si souvent.
Et pendant qu’il “ attend ” son cheval, pendant ces secondes qui paraissent des heures, le cavalier ne manque pas de réfléchir à sa stratégie : pourquoi sa monture a-t-elle choisi de désobéir ? L’obéissance lui rapporte-t-elle un bénéfice suffisant ? Les exigences de l’exercice ne sont-elles pas exagérées  (voir revue n°332)

Punitions corporelles : classiques ou démodées ?
Dès ses premières séances, le débutant apprend à renforcer ses aides pour obliger son cheval à obéir. Bientôt, on lui met une cravache et des rênes de bride dans les mains, des éperons aux pieds, et il peut prendre exemple sur certains champions qui tabassent ou poinçonnent leur monture en cadence sous l’œil ennuyé des jurys.
La sanction physique est parfaitement admise en équitation. Lorsque le cheval ne répond pas, on augmente l’intensité des aides, jusqu’à devenir franchement désagréable, et même à provoquer la douleur. Pour s’éviter un tel désagrément, il apprend à répondre de plus en plus tôt, ce qui permet finalement de le guider avec des aides très légères. Si le cavalier est logique et habile, avec des exigences mesurées, s’il sait intervenir dans la seconde qui suit la désobéissance, pour bien se faire comprendre, les sanctions physiques vont se raréfier d’elles-mêmes, un simple toucher de gaule devenant un événement !
Le problème, c’est que ce genre de cavalier est un oiseau rare. L’équitant ordinaire est plutôt malhabile, souvent illogique, avec des ambitions qui dépassent généralement les capacités de sa monture. S’il considère comme normal de la taper ou de la piquer chaque fois qu’elle tarde à obéir, l’opération va forcément se banaliser, provoquant un endurcissement de la victime, qui envisagera avec de moins en moins d’enthousiasme ces séances de travail où règne la douleur.
Rappelez-vous des paires de claques de votre enfance... Justifiées ou non, elles avaient pour premier effet de vous faire détester la personne qui vous les avait infligées. Aussi, si vous pensez, avec raison, qu’une bonne relation avec votre monture est un gage de réussite, restez à l’affût de solutions alternatives à l’usage du bâton. Moins simples à première vue, elles vous rendront meilleur cavalier.

Retournez sa propre désobéissance contre lui
Si le cheval désobéit, c’est parce que la mauvaise action lui paraît plus agréable que la bonne : couper les coins est moins fatigant que d’y rentrer ; galoper dans le pré vaut mieux que de se laisser prendre pour aller travailler ; trottiner sur le chemin du retour permet de rentrer plus vite... La réaction normale du cavalier consiste à essayer de forcer l’obéissance. Le cheval obtempère, mais la mauvaise action continue de le fasciner et risque de se reproduire.
Un enfant attiré par une bougie aura du mal à respecter l’interdiction parentale d’y toucher, jusqu’au jour où il désobéira et constatera que ça brûle. C’est l’acte tentateur lui-même qui perd alors tout son charme.

Ainsi, au lieu d’ajouter une punition à la mauvaise action, le cavalier peut laisser le cheval découvrir par lui-même qu’elle ne lui apporte pas le confort escompté. Sur ce terrain, les dresseurs américains ont bien des leçons à nous donner. Exemple typique, le débourrage dans le round pen : le poulain a le droit de s’écarter de l’homme s’il a peur d’être touché ou sellé. Mais il doit alors courir autour du rond. C’est son propre mouvement de fuite qui est transformé en désagrément ; désagrément qui naît de la durée plus que de l’intensité des pressions. L’élève finira par choisir de son propre gré de retourner auprès de l’homme.
Pour prendre des exemples moins exotiques, le cheval qui coupe le coin sera immédiatement mis sur une petite volte, pour attaquer de nouveau le coin correctement, et bien incurvé. C’est son propre mouvement pour s’écarter du mur qui est ainsi récupéré et transformé :
Le cheval qui trottine sur le chemin du retour aura le droit de trotter mais sera alors invité à dépasser l’écurie et à continuer bien au delà... Puis, retour au pas, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il décide de marcher sagement.
Cette forme originale de punition oblige le cavalier à beaucoup de maîtrise : il faut accepter de laisser faire, et confier au temps le soin de convaincre sa monture. C’est toute une philosophie, qui repose sur l’imagination et l’expérience puisqu’il faut trouver la réponse qui convient à chaque cas. Moins simple que les coups de bâton, mais tellement plus efficace !

Encadré
La récompense, une arme anti-punition
Lorsqu’une désobéissance a tendance à se reproduire, le cavalier doit mettre les choses à plat, et prendre le temps d’examiner les motivations du cheval : celui-ci n’est jamais animé par la méchanceté ou la vengeance, mais par son propre intérêt. Il suffit bien souvent de mieux récompenser l’obéissance pour faire pencher la balance du bon côté.

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