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Vol d'encolure, tous coupables (Cheval Magazine n°325)

article de Véronique de Saint Vaulry

Le fait de contrôler la tête et l’encolure du cheval n’est pas dénué d’effets secondaires déplaisants... Car on le prive ainsi de son outil le plus précieux, à la fois balancier et périscope !

Dans sa généreuse configuration, la nature a équipé le cheval d’une extension merveilleusement décorative, grâce à laquelle il peut faire voltiger sa crinière, prendre des poses gracieuses, et vous regarder de haut. L’encolure semble en outre avoir été mise là exprès pour permettre au cavalier de régler la vitesse, la direction et l’équilibre du noble animal, ou, en cas d’échec, pour s’y raccrocher !
Mais avant de se jeter ainsi à sa tête et d’annexer égoïstement son encolure, il serait peut-être judicieux de se demander à quoi lui-même l’utilisait. Qui sait s’il ne regrette pas parfois de ne pouvoir s’en servir à son idée ! Qui sait si vous ne faites pas fausse route, chaque matin, lorsque vous ajustez soigneusement vos rênes avant de procéder au montoir ! Et si ce n’était pas nécessaire ? Et si ce n’était pas adapté à vos besoins ? Et si certains problèmes venaient de là ?
Cela fait tant de siècles, et de tableaux connus qu’on voit ainsi monter des cavaliers hors pair, enserrant dans le mors leur noble partenaire, qu’on s’est docilement habitué à l’idée. Mais ne devrait-on pas se méfier un peu plus d’une tradition conçue pour la guerre et les défilés ? Ceux qui ne se bornent pas à tracer des figures géométriques dans un désert encadré de hauts murs, mais qui souhaitent aussi, de temps en temps, aligner quelques foulées tranquilles à travers la campagne, feraient bien d’y réfléchir un peu.

Handicapé
Bien sûr, pour diriger un cheval, on n’a encore rien trouvé d’aussi pratique et efficace qu’une paire de rênes. Mais ce n’est pas parce que tout le monde se sert de l’encolure depuis des lustres qu’il faut la confondre avec un guidon ou un volant. L’erreur, c’est de s’imaginer que Mère Nature l’a fabriquée dans ce but, de la considérer comme un acquis, et d’oublier de la “ rendre ” au cheval lorsqu’il en a besoin : le pauvre animal se retrouve alors tout simplement handicapé. Privé de son meilleur outil, le voilà inquiet, crispé, fébrile, face à certaines situations délicates, comme l’approche d’un marigot (forcément infesté de crocodiles), la périlleuse escalade du talus par la face nord, ou le croisement d’un buisson hanté...
Certains m’objecteront sans doute que leur monture est simplement d’une émotivité maladive, voire qu’elle se livre à la simulation, par paresse ou mauvaise volonté, et que les rênes n’ont rien à voir là-dedans... Conclusion hâtive qui évite de se remettre en question... Pourtant, n’importe quel observateur attentif peut constater qu’un cheval libre, ou monté rênes en guirlandes, se montre plus calme et plus courageux. Voyez l’équitation western...

Une résistance bien naturelle.
Dès sa petite enfance, le cheval envoie des signaux d’alerte en luttant de manière parfois désespérée chaque fois que l’on s’en prend à sa liberté d’encolure. Si l’éducateur manque de diplomatie, les premiers pas en licol risque de tourner au combat frénétique, de même que la mise à l’attache, qui peut engendrer la réaction panique dite du “ tireur au renard ” même chez des chevaux d’âge...
Au débourrage, enfin, la difficulté n’est pas du tout, comme le croient les amateurs, d’habituer le poulain à la présence du mors dans sa bouche, mais elle est bel et bien de lui faire accepter la traction des rênes, qui lui donne la désagréable sensation d’être emprisonné. Au début, il va tout essayer pour y échapper : ouvrir la bouche, tirer de son côté, passer la langue, lever la tête, céder... Si, lorsqu’il tente cette dernière solution, son cavalier relâche aussitôt sa pression, le jeune élève se mettra à répondre à des demandes très légères, dès la première leçon : le fait de récupérer sa liberté d’encolure constitue en effet une puissante motivation. Mais bien souvent, le cavalier n’est pas conscient du désagrément qu’il occasionne, et, obsédé par l’ajustage des rênes, il s’applique à reprendre le contact dès que sa jeune monture le rompt, au mépris de la pédagogie la plus élémentaire...
L’éventuelle recherche du contact permanent ne devrait intervenir que plus tard, lorsque les réponses du poulain sont confirmées, que sa confiance est acquise, et qu’il commence à céder dans sa nuque et sa mâchoire, ce qui permet une liaison moelleuse avec la main. A condition que celle-ci soit de son côté légère et liante, bien sûr ! Sinon, c’est automatique, sous l’effet de la traction et des secousses, par réflexe d’opposition, l’encolure se crispe, le nez se relève, et le cheval tire...
Garder un contact permanent, que le cheval accepte dans la décontraction, est probablement l’un des aspects les plus difficiles de l’équitation. Aussi peut-on se demander s’il est bien raisonnable d’imposer ce contact dès le début de la formation des cavaliers, à une époque où ils sont surtout à la recherche d’une poignée de secours à partir de laquelle se construira leur équilibre... poignée qu’ils risquent ensuite de ne plus pouvoir lâcher.

Le périscope perdu
Si le réflexe d’opposition du cheval reste si puissamment actif malgré des siècles de domestication, s’il éprouve tant de réticences à livrer sa tête et son encolure, c’est que celles-ci doivent constituer un élément de survie indispensable. En liberté, il est facile d’observer qu’il les utilise pour trois activités essentielles : brouter, se gratter, scruter... Cette dernière occupation est la moins réfléchie, la plus urgente, puisqu’elle est destinée à se protéger d’un éventuel prédateur : au moindre signal d’alerte, le cheval élève sa tête en hauteur, telle un périscope, et déclenche toute une batterie de vérifications : ses naseaux se dilatent, ses oreilles sondent les vibrations de l’air, et surtout, ses yeux panoramiques scrutent l’horizon. Examen attentif à l’issue duquel, le plus souvent, il parvient à identifier la source du signal suspect et constater qu’il n’y a pas de danger, ce qui lui permet de retourner à son repas en toute sérénité.
Il en va autrement lorsque sa tête est retenue par les rênes, placée, voire abaissée artificiellement par des ficelles : ne pouvant plus procéder aux vérifications de routine,  l’animal risque de rester perpétuellement sur le qui-vive, et de se montrer excessivement inquiet et prudent, prompt à sursauter et à prendre la fuite. En outre, ne disposant pas de sa liberté de balancier, il sait qu’il perdra quelques fractions de secondes au moment de s’enfuir... Alors, logiquement, il cherche à rester le plus loin possible du danger, et à anticiper, en tournant les talons au moindre doute.
Parfois, à l’inverse, lorsqu’il aborde un terrain douteux (gué, passerelle, fossé, forte pente), le cheval éprouve l’impérieux besoin de mettre sa tête  au ras du sol pour flairer et examiner correctement l’ennemi. Hélas, le cavalier croit alors qu’il cherche à lui arracher les rênes, et résiste à pleins bras, tout en poussant fort dans les jambes. Ensuite, il s’étonne et il s’inquiète des demi-tours, des cabrers et des résistances désespérées que lui oppose sa monture... Une telle incompréhension mutuelle prêterait à rire si elle n’était une inépuisable source d’accidents.

Balancier sous contrôle
Tenir la tête du cheval, c’est aussi prendre le contrôle de son équilibre. Lorsqu’on est un cavalier savant, cela permet d’obtenir toute la gamme des allures et des mouvements. Mais lorsqu’on est un novice comme vous et moi, c’est une énorme responsabilité. La plupart du temps, on dérange les mouvements du cheval plus qu’autre chose : un petit coup de sonnette lors des départs au galop et des sauts, une gêne quasi permanente du jeu du balancier au pas, la tentation de se raccrocher à chaque perte d’équilibre... Bien des hésitations du cheval en terrain accidenté sont dus à un manque de confiance dans la main : il sait bien que son cavalier va le tenir dans la descente, ou dans les rochers... Du coup il se sent moins adroit et tergiverse.
Mais le pire, c’est lorsqu’il trébuche... Ses mains gantées bien serrées sur les rênes à picots, le cavalier le retient alors à pleins bras... Et comme, finalement, sa monture ne tombe pas, il reste sur l’illusion d’avoir effectivement empêché la chute ! Alors qu’en fait, la malheureuse a simplement subi un grand coup dans les dents au moment où elle abaissait son balancier pour alléger son avant-main et retrouver l’équilibre, comme le coureur qui lance les bras en avant lorsqu’il bute... Hélas, lorsqu’on leur décrit ce mécanisme, les cavaliers ne veulent pas y croire : depuis 5, 15 ou 50 ans qu’ils procèdent ainsi à chaque faux pas, tout cela n’aurait été qu’une torture inutile ? Supposition si terrible qu’on préfère en rester aux anciennes impressions... N’est-ce pas, ami lecteur ? Pourtant, si vraiment l’appui sur le mors permettait d’éviter les chutes, il faudrait songer à mettre des rênes fixes aux chevaux d’extérieur et de cross...
Bien sûr, on ne va pas du jour au lendemain jeter nos embouchures par-dessus les moulins... Mais il est important d’avoir conscience de la privation qu’on inflige au cheval lorsqu’on cadenasse son balancier ! Le mois prochain, nous verrons quand et comment envisager de le lui rendre.

Histoire d'oeil...

La structure particulière de l’œil du cheval explique en grande partie ses inquiétudes. Quoique bénéficiant d’un vaste champ visuel, il est obligé de lever la tête pour faire le point sur un objet lointain, et de la baisser pour voir avec netteté un objet au sol
(voir CV mag n°280, La vision, par le Dr J. Transetti et F. Chéhu).
L’en empêcher, c’est lui interdire de se faire une opinion et de se rassurer.

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