précédent


sommaire articles


suivant

La politesse des aides ( à l'école de l'escalade) (Cheval Magazine n°329)

article de Véronique de Saint Vaulry

Pour se faire écouter d’un être aussi sensible que le cheval, les meilleurs arguments sont toujours les plus doux... Tout l’art consiste à rendre ceux-ci persuasifs, par la pratique raisonnée de l’escalade...

"Tu veux l'essayer ?". Voilà une proposition qui ne surprend personne, comme si le cheval était un simple véhicule ( et le chien, on peut l'essayer ?). Pourtant, monter sur un cheval n'est jamais anodin. Chaque intervention du cavalier fait évoluer un peu son dressage dans le bon ou (si souvent) le mauvais sens... Oh, bien sûr, le risque n'est pas de lui faire oublier les mouvements qu'il connaît déjà. Sa mémoire est excellente, et des mouvements, même en Grand Prix, il n'y en a pas tant que ça... Non, c'est sa réceptivité qui est menacée... Une qualité qu'il faut beaucoup plus de temps pour développer que pour ruiner...
L'équitation western, par exemple, excelle à développer la réceptivité des chevaux, et bien des cavaliers rêvent de posséder ces merveilleux quarter horses qu'on peut faire pivoter d'un doigt et freiner d'un mot. J'ai rencontré l'un d'eux sur une carrière de Cheval Passion, qui affichait (le cavalier) son bonheur tout neuf à réclamer sans fin les spins et les stops dont il avait rêvé. Quelque chose dans l'oeil cerné de blanc du cheval, dans sa bouche qui s'ouvrait trop grand, dans ses mouvements de moins en moins généreux, quelque chose disait la stupeur et l'incompréhension. Pour la première fois de sa vie, il rencontrait un cavalier impoli, et c'était justement son propriétaire... On voyait bien qu'il ne resterait pas longtemps un quarter horse, et qu'il allait redevenir très vite un petit cheval presque ordinaire. On se fait les montures qu'on mérite.

La vieille dame et le parapluie
La politesse ! Voilà ce qui caractérise un bon cavalier. Quand on dispose d'armes aussi terribles qu'un mors, ou des talons, la moindre des choses consiste à demander d'abord aimablement le mouvement au cheval, avant de recourir à des arguments désagréables. Ca vous plairait, à vous, de subir soudain une grêle de coups de parapluie parce qu'une vieille dame veut votre place dans le bus? Elle ne pourrait pas demander poliment, celle-là ?
Le grand problème des chevaux, c'est que bien des cavaliers font leurs demandes à coups de parapluie (ou de jambes, de main, d'éperons), sans dire "s'il te plaît" ni faire les sommations d'usage. Une carence plus souvent due à la maladresse ou à l'ignorance qu'à la mauvaise volonté. Difficile par exemple pour un débutant, encore instable et maladroit, d’arriver à formuler des demandes progressives, d’autant que son cheval risque d’ignorer ses injonctions polies : un débutant, ça fait tant de choses bizarres avec ses mains, ses jambes et son assiette, qu’il vaut mieux attendre encore un tour pour en avoir le coeur net !

Une contre-action en trompe-l'oeil
Mais ne vous y trompez pas : il n'y a pas que les débutants qui manquent d'égards avec les chevaux. Il n'est pas rare de voir des cavaliers confirmés qui mènent leur monture "en force", sans deviner qu'une méthode plus polie, plus progressive, donnerait de meilleurs résultats. Il faut reconnaître à leur décharge que le cheval n'est pas un très bon pédagogue : il est incapable de se faire comprendre à ce sujet, parce qu'il est handicapé par le terrible, le tragique, le trompeur réflexe d'opposition...
Lorsqu'un conducteur de 2CV essaye une Ferrari, il ne tarde pas à s'apercevoir qu'il faut traiter le volant et les pédales avec douceur. Avec un cheval, le constat n’est pas si évident, car la réponse n'est pas proportionnelle à la force déployée par le cavalier : la monture qui sait s'arrêter au poids des rênes risque d'obéir moins bien si des aides plus fortes sont utilisées... Car celles-ci vont déclencher des résistances instinctives qui paralysent l'obéissance...Je tire, tu tires, nous tirons, ainsi se conjugue le réflexe d'opposition ! Dans ces conditions, comment le cavalier pourrait-il deviner que la douceur donnerait un meilleur résultat ?

L'escalade, comment ça marche ?
Bien sûr, il peut sembler paradoxal de prétendre qu'on arrête mieux un cheval avec 10 grammes qu'avec 10 kg dans chaque main. Mais c'est oublier qu’il est doué de raison, et non soumis aux seules lois de la cinétique et de la gravitation. La demande polie est un simple code qui s'adresse à son cerveau : "je vous demande de vous arrêter !". Les expériences antérieures doivent lui avoir montré qu'ensuite, s'il ne s'arrête pas, la pression va augmenter, jusqu'à devenir désagréable... Comme c'est à chaque fois la même escalade et qu'il n'est pas idiot, il finit par répondre à 10 grammes. Ainsi s'améliore sa réceptivité.
Attention, ce mécanisme n'est pas réservé à la haute équitation, ni aux aides tactiles. Chaque demande faite au cheval devrait commencer par une aide polie, c'est-à-dire légère, douce et non contraignante : indication vocale, geste discret, déplacement d'assiette, poids du cuir... Ensuite, en l'absence de résultat, le cavalier augmente progressivement ses pressions, jusqu'à atteindre le seuil du désagréable. Dès que la réponse est obtenue, les pressions se relâchent, ce qui constitue à la fois une confirmation et une récompense.
Si cette procédure est fidèlement répétée à chaque fois, elle devient prévisible pour le cheval, qui se met à répondre de plus en plus tôt. Aussi, qu’il soit débourré du matin ou à deux doigts de la retraite, que ce soit la première demande ou la millième, on s’y prendra de la même façon : d’abord l'aide douce, pour lui donner sa chance, puis, s’il ne répond pas, un renforcement des pressions. Chaque indication peut ainsi se transformer en leçon. A force, et c'est tant mieux, la procédure finit par devenir "machinale" pour le cavalier, tandis que de son côté, le cheval se "mécanise"- à moins que ce ne soit l'inverse.

Trouver l'équilibre
Toutes les formes d'équitation et d'utilisation du cheval fonctionnent sur ce principe de l'escalade. Lorsqu'un cavalier “ musclé ” néglige l'aide douce, et attaque par quelque chose de plus contraignant, il détruit peu à peu la sensibilité de sa monture, et surtout son entrain, puisqu’elle subit des désagréments auxquels elle n'a aucun moyen d'échapper.Lorsqu'à l'inverse, un cavalier “ gentil ” se refuse à atteindre le seuil du désagréable, sa monture se met à obéir de moins en moins bien, et finit par l’obliger, d'une manière ou d'une autre, à recourir à ces pressions désagréables qu’il souhaitait tellement éviter.
La grande question, c'est évidemment de décider de ce qui est agréable et de ce qui ne l'est pas, sachant que les équidés ne savent guère exprimer leur point de vue sur ce sujet. Il est par exemple assez étonnant de constater que la prise de contact avec la bouche, qui est considérée comme le seuil minimum de communication par la plupart des dresseurs, est classée comme "intervention désagréable", ou "agression" par les cavaliers western. Des différences de valeurs dont l’étude est pleine d’intérêt...

(Encadré)  N'allez pas croire que la "politesse des aides" est un truc à réserver aux protecteurs des animaux et aux jeunes filles au coeur tendre... Si les meilleurs cavaliers finissent par l'adopter, ce n'est sûrement pas par altruisme et grandeur d'âme, mais plutôt par égoïste intérêt : c'est tout simplement la clé de l'efficacité équestre ! Deux raisons majeures à cela :

- Effet anti-opposition.
Plus l'action est délicate et subtile, moins elle risque de déclencher le fameux réflexe d'opposition, cette "contre-action" qui paralyse l'obéissance. Le cheval peut donc répondre plus généreusement.

- Economie de moyens.
Une aide forte ou appuyée perd rapidement de son effet si on y recourt trop souvent. Le cheval se blase, s'endurcit, et se démotive... Le recours à une aide douce, qui suffit dans la plupart des cas, permet d'économiser ses effets.  

A ces considérations bassement pratiques vient s'ajouter le rêve du centaure qui habite chacun d'entre nous : n’est-il pas merveilleux de guider sa monture comme par des fils invisibles, sans donner l’impression de la contraindre ?

 

Accueil