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Désobéissance : mener l'enquête (Cheval Magazine n°332)

article de Véronique de Saint Vaulry

Lorsqu’un cheval désobéit, il faut étudier l’événement de près pour éviter qu’il ne se reproduise. Peut-être que ce n’est pas entièrement de sa faute, et que le cavalier a provoqué le problème en faisant la mauvaise demande au mauvais moment... Sachez vous remettre en question !

Lorsqu’un automobiliste brûle un feu rouge, la première impression du piéton furieux, c’est que cette transgression était volontaire : le chauffard n’a pas voulu s’arrêter, parce qu’il n’y avait ni circulation ni gendarme au carrefour... Mais qui sait ? peut-être qu’il ne l’a pas remarqué, parce qu’il avait le soleil dans l’œil, peut-être qu’il ne sait pas ce que ça veut dire, parce qu’il arrive du fond de la brousse, peut-être qu’il ne peut pas s’arrêter, parce que ses freins ont lâché ou que sa femme accouche sur sa banquette arrière. Pour l’observateur, la seule chose vraiment sûre, c’est que le feu a été brûlé.
Entre votre monture et les aides, c’est exactement la même histoire. Ce n’est pas forcément la mauvaise volonté qui la pousse à désobéir. Lorsqu’elle néglige une indication, qu’elle transgresse un règlement, c’est peut-être vous qui avez tort ! Ce n’est certes pas une raison pour la féliciter, mais vous feriez bien d’y réfléchir, et peut-être de vous y prendre autrement la prochaine fois...

Il n’y a pas de petite désobéissance
L’obéissance est la pierre d’angle de l’équitation : le cavalier passe son temps à demander des mouvements à sa monture ; celle-ci passe son temps à dire “ oui ”. Lorsque par hasard elle refuse, que ce soit pour une petite ou une grande chose, c’est un coup de canif dans le contrat...
Il faut se méfier alors des explications trop humaines, c’est-à-dire tortueuses, irrationnelles, ou passionnelles : “ Il se venge de mon coup de cravache de tout à l’heure ”, “on est vendredi 13 ”, “ il est toujours comme ça les 10 premières minutes ”, “ C’est la faute du vent ”, “ Il est jaloux du cheval gris ”, “ il sent qu’il est en compétition ”, “ il en profite parce que je ne suis pas son cavalier habituel ”. De telles interprétations ne permettent évidemment pas de régler le problème, sinon par le vide : arrêter la compétition, supprimer le cheval gris, éteindre le grand ventilateur... Mais elles ont un côté rassurant pour le cavalier à qui elles permettent de mieux supporter la désobéissance, tout en lui épargnant de plus amples investigations.
Or,le grand danger, c’est justement d’en rester là. La désobéissance est un problème de fond, totalement inacceptable, même si elle a lieu à un horaire ou dans un contexte bien particulier, même si elle concerne un mouvement anodin. Car chaque fois qu’on fait une demande au cheval et qu’il n’y répond pas, on perd un peu d’ascendant sur lui. Le contrôle se détricote peu à peu.
La grande erreur des cavaliers, c’est de traiter les désobéissances selon leur propre échelle de valeurs : “ Mon cheval m’arrache les rênes pour attraper une touffe d’herbe, ce n’est rien ; il est lourd à remuer pour passer de l’arrêt au pas, ce n’est rien ; il coupe les coins, ce n’est rien... Enfer et damnation, il a refusé l’oxer bleu, quelle tragédie, quelle honteuse désobéissance ! ” Pourtant, ce résultat était en germe dans tout ce qui a précédé. Il serait plus efficace, et tellement plus facile d’être exigeant pour les petites choses !

Aides mal comprises
La première cause de désobéissance est l’incompréhension : le sens des actions de mains et de jambes à beau paraître évident au cavalier, il ne l’est pas forcément pour le cheval, à qui il faut l’expliquer lors du débourrage, puis le faire réviser régulièrement. On ne peut pas lui en vouloir s’il néglige une jambe isolée parce qu’il n’en connaît pas la signification, ou qu’il rate un départ au galop parce que le code employé n’est pas celui dont il a l’habitude.
Mais c’est plus souvent à cause d’un manque de logique dans l’emploi des aides que le cheval finit par ne plus très bien savoir ce qu’on attend de lui : “ Mon cavalier résiste-t-il sur les rênes pour freiner, pour allonger l’allure, pour demander le placer, ou simplement pour rétablir son équilibre ? Serre-t-il les jambes pour accélérer, pour ralentir, ou simplement pour tenir en selle ? Ce n’est déjà pas   très clair dans les manuels, ni dans la tête du cavalier, alors, la modeste intelligence du cheval risque de se laisser déborder par tant de subtilités : il finira par répondre le moins possible aux aides, de peur de commettre une erreur d’interprétation.

Et lorsqu’excédé, vous sortirez une cravache pour lui faire une leçon de jambes, ou votre carte bleue pour acheter un mors plus sévère, vous risquez de commettre une belle injustice. Offrez-vous des aides plus logiques, le résultat vous surprendra (1).

Incapacité physique
Les cavaliers ont souvent l’impression que leur cheval se moque d’eux, qu’il s’amuse à les faire enrager... C’est bien mal le connaître. Lui qui ne cherche qu’à mener une vie paisible et confortable, pourquoi irait-il contrarier exprès son cavalier ? Il est bien placé pour savoir que c’est le meilleur moyen de s’attirer des ennuis... C’est pourquoi, lorsqu’il désobéit, il faut commencer par vérifier qu’il lui était réellement possible de répondre à la demande.
Autant une boiterie est facile à remarquer, autant une douleur dorsale ou une courbature risquent de passer inaperçues. Incapable de gémir “ kaï, kaï ”, le cheval n’a qu’un seul moyen d’exprimer sa souffrance, c’est de refuser les mouvements trop douloureux . Il affiche sans doute aussi d’autres symptômes, œil éteint, mobilité réduite, poil terne, mais la plupart des chevaux en box ayant les mêmes, ces détails risquent de passer inaperçus...
Sans même aller jusqu’à la douleur, l’obéissance est souvent rendue impossible par une limite physique. La conformation du cheval, son niveau d’équilibre et d’assouplissement ne permettent pas toutes les figures. Un poulain éprouvera toute les peines du monde à prendre le galop dans l’espace réduit du manège, à tourner sans couper les coins. Un adulte peinera à passer ses transitions dès lors qu’un enrênement l’oblige à se servir moins de son balancier et davantage de son dos. Un cheval d’extérieur ne pourra allonger le pas si les rênes lui bloquent la tête... Un sauteur dépourvu de style ne pourra éternellement éviter les fautes. Incapable de crier “ j’y arrive pas !”, toutes ces pauvres bêtes ne peuvent que désobéir... D’où l’intérêt pour le cavalier d’acquérir une connaissance poussée de la “ mécanique-cheval ”, afin de conserver ses demandes dans le champ du possible... 

Blocages psychologiques
Reste une cause de désobéissance plus puissante que toutes les autres, capable de transformer le plus soumis des partenaires en rebelle déchaîné : c’est la Peur. Une émotion que les cavaliers n’arrivent ni à comprendre, ni à accepter, et qu’ils traitent comme une désobéissance ordinaire. Et j’te pousse et j’te  tape, et j’te pique, pour t’obliger à franchir ce fossé, à traverser cette rivière, à dépasser ce pot de fleurs, ou à t’éloigner des autres... Confronté à cette terrible pression (voir encadré), l’animal commence par résister et désobéir, aux jambes, aux mains, à la traction du licol... Si sa peur est très violente il inventera des figures inédites, entrechats, reculer rallye, demi-tour toupie, cabrer, lançade... Chaque fois qu’un cavalier  pousse inconsidérément sa monture vers l’objet de sa peur, il lui enseigne l’art et la manière de désobéir. Et perd en outre sa confiance.
Il n’est évidemment pas bon pour l’autorité de renoncer à un franchissement. Aussi faut-il bien réfléchir avant d’y aller, et une fois engagé, accepter d’avancer au rythme du cheval, et non au nôtre.

Comme nous l’avons vu aujourd’hui, chaque demande impossible est une mauvaise leçon. Mieux vaut ne pas la faire plutôt que de s’exposer à un refus. Il peut arriver aussi, bien sûr, que le cheval choisisse de désobéir, alors qu’il est parfaitement capable d’accéder à la demande de son cavalier. C’est le problème que nous aborderons la prochaine fois.

(Encadré)Mettez-vous à sa place
Imaginez quelques boucles de ruban de clôture électrique, abandonnées au sol, à proximité d’un puissant électrificateur dont on entend distinctement le “ clac, clac ” . Même si ce ruban n’est pas connecté, oseriez-vous diriger votre monture droit sur lui, et taper, pousser, piquer, pour la forcer à le piétiner ? Bien sûr que non. Ce serait une honteuse torture... Pourtant, lorsqu’elle panique devant un fossé ou une rivière, c’est exactement ainsi que vous vous comportez.

(1) Pour améliorer la logique de vos aides, reportez-vous aux limpides oeuvres vidéo de Jean d’Orgeix : “ Les mains ”, “ Les jambes ”, etc.

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