Lorsqu’un cheval désobéit, il faut étudier l’événement de
près pour éviter qu’il ne se reproduise. Peut-être que ce n’est pas entièrement
de sa faute, et que le cavalier a provoqué le problème en faisant la
mauvaise demande au mauvais moment... Sachez vous remettre en question !
Lorsqu’un automobiliste brûle un feu rouge, la première impression du piéton
furieux, c’est que cette transgression était volontaire : le
chauffard n’a pas voulu s’arrêter, parce qu’il n’y
avait ni circulation ni gendarme au carrefour... Mais qui sait ?
peut-être qu’il ne l’a pas remarqué, parce qu’il avait
le soleil dans l’œil, peut-être qu’il ne sait pas ce que ça
veut dire, parce qu’il arrive du fond de la brousse, peut-être qu’il
ne peut pas s’arrêter, parce que ses freins ont lâché ou que
sa femme accouche sur sa banquette arrière. Pour l’observateur, la
seule chose vraiment sûre, c’est que le feu a été brûlé.
Entre votre monture et les aides, c’est exactement la même histoire. Ce n’est
pas forcément la mauvaise volonté qui la pousse à désobéir.
Lorsqu’elle néglige une indication, qu’elle transgresse un règlement,
c’est peut-être vous qui avez tort ! Ce n’est certes pas une
raison pour la féliciter, mais vous feriez bien d’y réfléchir, et
peut-être de vous y prendre autrement la prochaine fois...
Il n’y a pas de petite désobéissance
L’obéissance est la pierre d’angle de l’équitation : le
cavalier passe son temps à demander des mouvements à sa monture ;
celle-ci passe son temps à dire “ oui ”. Lorsque par
hasard elle refuse, que ce soit pour une petite ou une grande chose,
c’est un coup de canif dans le contrat...
Il faut se méfier alors des explications trop humaines, c’est-à-dire
tortueuses, irrationnelles, ou passionnelles : “ Il se
venge de mon coup de cravache de tout à l’heure ”, “on est
vendredi 13 ”, “ il est toujours comme ça les 10 premières
minutes ”, “ C’est la faute du vent ”, “ Il
est jaloux du cheval gris ”, “ il sent qu’il est en
compétition ”, “ il en profite parce que je ne suis pas
son cavalier habituel ”. De
telles interprétations ne permettent évidemment pas de régler le
problème, sinon par le vide : arrêter la compétition, supprimer le cheval gris,
éteindre le grand ventilateur... Mais elles ont un côté
rassurant pour le cavalier à qui elles permettent de mieux supporter
la désobéissance, tout en lui épargnant de plus amples
investigations.
Or,le grand danger, c’est justement d’en rester là. La désobéissance
est un problème de fond, totalement inacceptable, même si elle a lieu à un horaire
ou dans un contexte bien particulier, même si elle concerne un mouvement anodin. Car chaque
fois qu’on fait une demande au cheval et qu’il n’y répond pas, on
perd un peu d’ascendant sur lui. Le contrôle se détricote peu
à peu.
La grande erreur des cavaliers, c’est de traiter les désobéissances
selon leur propre échelle de valeurs : “ Mon cheval
m’arrache les rênes pour attraper une touffe d’herbe, ce n’est
rien ; il est lourd à remuer pour passer de l’arrêt au pas,
ce n’est rien ; il coupe les coins, ce n’est rien... Enfer et
damnation, il a refusé l’oxer bleu, quelle tragédie, quelle
honteuse désobéissance ! ” Pourtant, ce résultat était
en germe dans tout ce qui a précédé. Il serait plus efficace, et
tellement plus facile d’être exigeant pour les petites choses !
Aides mal comprises
La première cause de désobéissance est l’incompréhension : le
sens des actions de mains et de jambes à beau paraître évident au
cavalier, il ne l’est pas forcément pour le cheval, à qui il faut
l’expliquer lors du débourrage, puis le faire réviser régulièrement.
On ne peut pas lui en vouloir s’il néglige une jambe isolée parce
qu’il n’en connaît pas la signification, ou qu’il rate un départ
au galop parce que le code employé n’est pas celui dont il a
l’habitude.
Mais c’est plus souvent à cause d’un manque de logique dans
l’emploi des aides que le cheval finit par ne plus très bien savoir
ce qu’on attend de lui : “ Mon cavalier résiste-t-il
sur les rênes pour freiner, pour allonger l’allure, pour demander
le placer, ou simplement pour rétablir son équilibre ?
Serre-t-il les jambes pour accélérer, pour ralentir, ou simplement
pour tenir en selle ? Ce n’est déjà pas
très clair dans les manuels, ni dans la tête du cavalier,
alors, la modeste intelligence du cheval risque de se laisser déborder
par tant de subtilités : il finira par répondre le moins
possible aux aides, de peur de commettre une erreur d’interprétation.
Et lorsqu’excédé, vous sortirez une cravache pour lui faire une leçon
de jambes, ou votre carte bleue pour acheter un mors plus sévère,
vous risquez de commettre une belle injustice. Offrez-vous des aides
plus logiques, le résultat vous surprendra (1).
Incapacité physique
Les cavaliers ont souvent l’impression que leur cheval se moque d’eux,
qu’il s’amuse à les faire enrager... C’est bien mal le connaître.
Lui qui ne cherche qu’à mener une vie paisible et confortable,
pourquoi irait-il contrarier exprès son cavalier ? Il est bien
placé pour savoir que c’est le meilleur moyen de s’attirer des
ennuis... C’est pourquoi, lorsqu’il désobéit, il faut commencer
par vérifier qu’il lui était réellement possible de répondre à
la demande.
Autant une boiterie est facile à remarquer, autant une douleur dorsale ou
une courbature risquent de passer inaperçues. Incapable de gémir “ kaï,
kaï ”, le cheval n’a qu’un seul moyen d’exprimer sa
souffrance, c’est de refuser les mouvements trop douloureux . Il
affiche sans doute aussi d’autres symptômes, œil éteint, mobilité
réduite, poil terne, mais la plupart des chevaux en box ayant les mêmes,
ces détails risquent de passer inaperçus...
Sans même aller jusqu’à la douleur, l’obéissance est souvent rendue
impossible par une limite physique. La conformation du cheval, son
niveau d’équilibre et d’assouplissement ne permettent pas toutes
les figures. Un poulain éprouvera toute les peines du monde à
prendre le galop dans l’espace réduit du manège, à tourner sans
couper les coins. Un adulte peinera à passer ses transitions dès
lors qu’un enrênement l’oblige à se servir moins de son
balancier et davantage de son dos. Un cheval d’extérieur ne pourra
allonger le pas si les rênes lui bloquent la tête... Un sauteur dépourvu
de style ne pourra éternellement éviter les fautes. Incapable de
crier “ j’y arrive pas !”, toutes ces pauvres bêtes
ne peuvent que désobéir... D’où l’intérêt pour le cavalier
d’acquérir une connaissance poussée de la “ mécanique-cheval ”,
afin de conserver ses demandes dans le champ du possible...
Blocages psychologiques
Reste une cause de désobéissance plus puissante que toutes les autres,
capable de transformer le plus soumis des partenaires en rebelle déchaîné
: c’est la Peur. Une émotion que les cavaliers n’arrivent
ni à comprendre, ni à accepter, et qu’ils traitent comme une désobéissance
ordinaire. Et j’te pousse et j’te tape, et j’te
pique, pour t’obliger à franchir ce fossé, à traverser cette rivière,
à dépasser ce pot de fleurs, ou à t’éloigner des autres...
Confronté à cette terrible pression (voir encadré), l’animal
commence par résister et désobéir, aux jambes, aux mains, à la
traction du licol... Si sa peur est très violente il inventera des
figures inédites, entrechats, reculer rallye, demi-tour toupie,
cabrer, lançade... Chaque fois qu’un cavalier
pousse inconsidérément sa monture vers l’objet de sa peur,
il lui enseigne l’art et la manière de désobéir. Et perd en outre
sa confiance.
Il n’est évidemment pas bon pour l’autorité de renoncer à un
franchissement. Aussi faut-il bien réfléchir avant d’y aller, et
une fois engagé, accepter d’avancer au rythme du cheval, et non au nôtre.
Comme nous l’avons vu aujourd’hui, chaque demande impossible est
une mauvaise leçon. Mieux vaut ne pas la faire plutôt que de
s’exposer à un refus. Il peut arriver aussi, bien sûr, que le
cheval choisisse de désobéir, alors qu’il est parfaitement
capable d’accéder à la demande de son cavalier. C’est le problème
que nous aborderons la prochaine fois.
(Encadré)Mettez-vous à sa place
Imaginez quelques boucles de ruban de clôture électrique,
abandonnées au sol, à proximité d’un puissant électrificateur
dont on entend distinctement le “ clac, clac ” . Même
si ce ruban n’est pas connecté, oseriez-vous diriger votre monture
droit sur lui, et taper, pousser, piquer, pour la forcer à le piétiner ?
Bien sûr que non. Ce serait une honteuse torture... Pourtant,
lorsqu’elle panique devant un fossé ou une rivière, c’est
exactement ainsi que vous vous comportez.
(1) Pour améliorer la logique de vos aides, reportez-vous aux
limpides oeuvres vidéo de Jean d’Orgeix : “ Les mains ”,
“ Les jambes ”, etc.
 |