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La voix, médecine douce de l'équitation (Cheval Magazine n°302)

article de Véronique de Saint Vaulry

Ci-dessous : Hexane reculant à la voix (ph. E.Loustau)
Efficace, appréciée du cheval, facile d'emploi, la voix peut rendre bien des services. Hélas elle est considérée comme une aide secondaire, rarement enseignée, et faute d'être utilisée correctement, elle déçoit.

Je suis au bout de la longe. Mon cheval marche sur le cercle. Sans bouger, sans lever la chambrière, je dis "galop". Il s'enlève aussitôt au galop. Dix foulées plus loin, je dis "arrête", toujours sans bouger, ni faire vibrer la longe... et il s'arrête, net. "Recule", et il recule, jusqu'à ce que j'ai dit "trotte". Autour de la carrière, quelques témoins cherchent une explication rationnelle à ce miracle. Mais il n'y a pas de miracle : le cheval a compris ces ordres vocaux, prononcés sur le même ton, sans crier, sans répéter. Et il a obéi, aussitôt, pour trois raisons  : d'abord, il connaît les mouvements demandés ; ensuite, il sait que s'il n'obéit pas dès l'ordre vocal, j'utiliserai des moyens plus classiques pour le décider ; enfin, il espère bien être rapidement récompensé de son zèle.
Hélas, mes spectateurs sont convaincus, mais pas convertis... Ils pensent que mon cheval est un surdoué, et que leur propre monture serait incapable d'une telle performance. Encore raté !

Trop facile ! Bien sûr, lorsque vous apprenez à monter à cheval, le moniteur se garde bien de vous montrer comment vous servir de la voix : le but est que vous maîtrisiez les aides tactiles. C'est d'ailleurs gênant, ces chevaux de club qui comprennent les ordres vocaux, et devancent vos interventions, lorsqu'ils entendent "individuellement... doublez", ou "pour arrêter... arrêtez !". Du coup, vous n'avez plus rien à faire, et bien du mal à mettre en place vos aides... Mais une fois formé et devenu propriétaire, la voix pourrait vous être utile, très utile. Hélas, vous n'avez pas appris à vous en servir...

Des emplois variés L'inconvénient des aides tactiles, c'est qu'elle peuvent provoquer résistance et contractions chez votre monture. Leur avantage, c'est qu'on peut les doser, et augmenter leur intensité jusqu'à l'obéissance. Avec la voix c'est exactement l'inverse. L'ordre vocal est parfaitement indolore, s'adressant directement à la volonté du cheval. Mais on ne peut l'intensifier : inutile de répéter ou de crier, si votre partenaire n'a pas obéi, il faut recourir aussitôt à d'autres aides, plus contraignantes.
Lorsqu'un ordre est connu du cheval, il peut intervenir avant, pendant, ou après les aides tactiles, selon le but recherché.

- Avant les autres aides : économie... le but est d'éviter d'utiliser les aides... Idéal pour le cavalier débutant qui ne sait pas encore doser ses actions et veut préserver le moral de son cheval ; pour le longeur, le cavalier d'extérieur ou le meneur, qui obtiendront une obéissance précise avec un minimum d'efforts. Pour le dresseur qui veut enseigner une transition délicate... 

   - Pendant le recours aux autres aides : garde-fou ! la voix permet d'éviter une confusion dans l'esprit du cheval. Une demande d'allongement, de ralentissement, de déplacement latéral sera, les premiers temps, accompagnée du rappel vocal de l'allure d'origine, pour éviter que le cheval ne croie à une transition. Peu à peu, il apprendra à reconnaître les aides employées, et la voix ne sera plus nécessaire.
Même précaution lorsqu'un événement extérieur risque de perturber le travail en cours : la voix assure par exemple le maintien de l'allure lorsque le cheval se fait dépasser, ou qu'il aborde un obstacle qui risque de l'inciter à changer d'allure.

   - Après les autres aides : éclaircissement. Si le cheval n'a pas répondu à une aide ou une combinaison d'aides, la voix intervient pour lui permettre de comprendre ce qu'on attend de lui et d'obéir. Au débourrage, par exemple, elle lui traduit le sens des actions de main et de jambes. Elle fait le lien entre travail en main, en longe et sous la selle. Et pendant la formation du cavalier, elle intervient en renfort lorsque les aides ont manqué de clarté, ce qui permet d'assurer un résultat et de préserver le moral du cheval.

Le piège de l'intonation On entend partout affirmer que le cheval est surtout sensible à l'intonation. C'est vrai, mais à trop s'en servir, on risque surtout de retarder les progrès... Ne sous-estimez pas votre partenaire. Lui qui repère, de loin, le cliquetis du licol, le cri caractéristique de la carotte qu'on coupe, le bruit du moteur de votre voiture, il est parfaitement capable de faire la différence entre deux mots prononcés sur le même ton. A condition que ce soit nécessaire. Or si vous donnez à chaque mot une intonation particulière, votre monture ne se donnera pas la peine d'identifier les sons, d'écouter et de distinguer les mots. Et votre travail en sera compliqué :
Supposons la liste de base :"au pas / trotte / galop / recule / arrête / non / c'est bien / tiens", soit 8 intonations différentes. Aurez-vous assez d'imagination pour la rallonger ? Vous en souviendrez-vous encore au retour des vacances? Aurez-vous la patience d'enseigner cette liste au cavalier à qui vous prêtez votre monture, sachant qu'il aura tout oublié au bout de 5 minutes ? Et supporterez-vous longtemps de voir les copains ricaner en vous écoutant parler à votre cheval avec des trémolos dans la voix ?
La solution idéale, c'est d'adopter un même ton, neutre et bien distinct, pour tous les ordres. Ainsi le cheval apprend à écouter, la voix se fait discrète, et la liste peut être rallongée indéfiniment.

Une langue étrangère Pour faire du bon travail avec la voix, il ne faut cependant pas prendre le cheval pour un surdoué. Il ne peut comprendre que les mots qu'on lui a enseignés. Peu lui importe que ce soit la liste citée plus haut, ou "tang, chite, plouf, rune, besk, kouna...". L'important, c'est que les mots soient courts et bien différenciés, afin qu'il les reconnaisse sans effort. L'erreur courante, c'est d'utiliser par exemple "ho-là / au pas / au trot". Avec 3 ordres aussi proches et surtout cette première syllabe identique, vous allez le dégoûter d'obéir au quart de tour. Alors réfléchissez bien aux mots que vous utilisez, comparez-les, et n'hésitez pas à abandonner ceux qui prêtent à confusion. Vous perdrez 15 jours à en enseigner un nouveau, mais vous y gagnerez une précision inestimable.

Encadré Travail ou conversation ?
Il ne faut pas confondre travailler à la voix et bavarder avec sa monture. Si vous avez l'habitude de lui tenir de longs discours pour meubler son absence de conversation, les ordres vocaux seront noyés dans le flot, et elle aura bien du mal à s'y retrouver. Au travail, mieux vaut se limiter aux mots qu'elle connaît, en veillant toujours à obtenir un résultat.
Si vous voulez converser avec un autre cavalier ou le moniteur, il vaut mieux interrompre le travail : un temps de pas ou d'arrêt rênes longues est tout indiqué. Votre cheval finira par faire la différence entre les indications vocales et la conversation, et vous pourrez éventuellement discuter en cours de travail. Méfiez-vous cependant, votre monture vous écoute et cherchera à obéir aux mots qu'elle reconnaît ("arrête", "galop"...). Alors, prenez l'habitude de coder vos paroles ("stoppe", "canter"...) pour lui éviter de décevantes confusions.

Pour aller plus loin :

Parler au cheval, de Danièle Gossin, Editions Maloine

Encadré Rêvons un peu
Si j'étais monitrice d'équitation, je prendrais quelques minutes de reprise de temps en temps, pour montrer à mes élèves comment on enseigne un ordre vocal et comment on peut l'utiliser. Rapidement, tous les chevaux du club connaîtraient le vocabulaire de base. Ce serait pratique pour le travail en longe, rassurant pour les débutants, et intéressant pour tout le monde. Et on afficherait la liste des mots-clés bien en vue dans les écuries...

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