Pendant des siècles, la peur a assuré la survie du cheval. Désormais, son
instinct atavique de fuite lui est plus souvent nuisible qu'utile, et
le cavalier a la lourde tâche de l'aider à se rassurer. Mais il ne
faut pas se tromper de combat : c'est contre la peur qu'il faut
lutter, pas contre le cheval !
Quand sa monture s'effraie, le cavalier ne peut
s'empêcher d'en rajouter : les rênes s'arriment à la bouche,
les jambes prennent les flancs en étau... Tristes réflexes ! La
pauvre bête, qui se sentait déjà inquiète, se retrouve ligotée,
avec un tigre sur le dos ! Il y a de quoi paniquer. Hélas il lui
est quasiment impossible de faire comprendre à son maître qu'elle préférerait
une autre méthode, car les apparences sont contre elle :
La
grande illusion
- Quand la peur est légère,en effet, le cheval
accepte tant bien que mal de passer, ce qui donne l'impression qu'on a
eu raison de l'"empoigner".
-Quand la peur est forte, le cheval va cette fois
se comporter comme si on lui demandait de franchir un ruban électrifié :
puisque l'étau des jambes lui impose le mouvement, il va bouger,
certes, mais sûrement pas vers l'avant. Au choix, il plantera un
demi-tour éclair, se cabrera, ou reculera inexorablement... Pourtant,
à force d'être inlassablement ramené devant ce qui l'inquiétait,
il finit par s'y habituer, la peur décroît, et soudain, il accepte
d'y aller. Et notre cavalier se frotte les mains, persuadé qu'il doit
sa réussite à son acharnement.
En fait, il est victime des apparences. S'il
avait utilisé la méthode douce que je vais expliquer dans ces pages,
son cheval serait passé aussi, plus facilement, sans se défendre.
Mais cette technique contrarie tellement nos réflexes habituels qu'on
a du mal y croire, et à l'appliquer, malgré sa simplicité. Depuis
15 ans, j'ai pu en tester l'efficacité sur toutes sortes de chevaux,
du shetland au lusitanien.
Non seulement ça marche, souvent de manière spectaculaire, mais en
plus, les chevaux ainsi traités deviennent très vite de moins en
moins craintifs. C'est à la fois une recette miracle et un traitement
à long terme...
Le seul problème, c'est qu'un cheval qui a subi
le "tire-dessus, rentre-dedans" pendant trop longtemps finit
par perdre courage, et n'ose plus se livrer à ses (bons) réflexes
naturels (voir encadré). Il est alors plus difficile à mettre en
confiance qu'un poulain à peine débourré. Ceux qui ont l'esprit
assez ouvert pour se remettre en question pourront inverser la
tendance... mais j'en connais qui ont déjà tourné la page !
Lutter
contre la peur, pas contre le cheval...
Pour progresser face à la peur, le cavalier doit
cesser d'accuser son cheval, et s'en prendre à ses propres réflexes
qui, nous l'avons dit, ne font qu'aggraver la situation.
Entendons-nous bien, il n'est nullement question de renoncer à
passer, bien au contraire... Tout est dans la manière ! Une démarche
plus "éthologique" permet d'y arriver à coup sûr, sans se
mettre en danger. Futile ou pas, la moindre inquiétude mérite cette
procédure rassurante, et mieux vaut s'y habituer lorsque les choses
paraissent faciles. Car on ne se débarrasse pas de ses mauvais réflexes
du jour au lendemain ! D'abord, accepter la peur du cheval. Il a
le droit de s'inquiéter d'une tige de maïs en travers du chemin, d'une
trace d'arrosage dans la sciure. Après tout, il y voit
peut-être un serpent venimeux, une fondrière ou que sais-je
encore... Je connais des humains qui ne se montrent pas très cartésiens
non plus devant les araignées, les souris ou les ascenseurs. Soyez
tolérants !
Chaque fois que votre grand timide donne des
signes d'inquiétude,voici comment procéder :
D'abord, l'arrêter, avant qu'il n'ait l'idée de
le faire tout seul. Ce ne serait pas très bon pour l'autorité de le
laisser mettre lui-même un grand coup de patin. D'autant qu'emporté
par son élan, il se sera peut-être un peu trop approché, et voudra
ensuite reculer, ce qui n'est pas prévu dans le règlement...
Ensuite, attendre. Eh, oui, lecteur toujours
pressé, c'est le meilleur moyen pour gagner du temps. Le cheval en
profite pour examiner ce qui l'inquiète. Pendant ce temps, son
cavalier doit surmonter ses réflexes de prédateur : plus
de jambes, plus de main. Il laisse les rênes se détendre jusqu'à décrire
un bel arrondi, s'assoit confortablement dans la selle, et s'efforce
de réconforter son inquiète moitié (caresse, monologue rassurant).
Désormais, tout dépend du cheval. S'il tente
une sortie (recul ou demi-tour), rétablissez l'arrêt. Seulement
l'arrêt. N'essayez surtout pas d'en profiter pour gagner du terrain,
ce n'est pas le moment ! Une fois immobile, observez-le bien :
1/ Il reste tendu vers ce qui l'inquiète,
encolure de bois, tout son poids sur les postérieurs... Attendez encore, sans jambes, sans
main, en continuant à le réconforter. Rassurez-vous, il est
exceptionnel de voir un cheval résister plus de 3 minutes à la
patience de son cavalier. A moins de lui demander de sauter d'un avion
en marche...
2/Son poids se répartit correctement, et il
semble se désintéresser de la question.
Demandez-lui un demi-pas en avant, juste pour recentrer son attention
sur l'objet ou le passage effrayant.
3/ Il commence à étendre l'encolure vers ce qui
l'inquiète. Réjouissez-vous, et, sans vous pencher, laissez immédiatement
filer les rênes (honnis soit les picots et autres anti-dérapants)
pour qu'à aucun moment il ne se heurte à la main. Le moindre soupçon
de résistance sur l'embouchure risque de lui faire perdre courage, et
planter un demi-tour. Je connais des chevaux qui arrachent proprement
les rênes pour pouvoir flairer, mais hélas, un tel bon sens est plutôt
rare. Trop souvent, on en voit renoncer parce que le cavalier n'a donné
que 20cm de rênes, et que sa monture sent bien qu'il n'y en a pas
assez pour aller jusqu'en bas.
Se sentant libre de procéder à ses
investigations rituelles, le cheval acceptera de s'approcher de
l'objet qui l'effraie, pour le flairer longuement. S'il s'agit d'un
passage difficile, il s'y engagera précautionneusement, le nez au
sol. S'il n'y va pas de lui-même, ne l'empoignez surtout pas dans les
jambes... Encouragez-le de la voix, et n'exigez qu'un pas à la fois,
gentiment. Trop de pression provoquerait un demi-tour, et il est clair
qu'à bout de rênes, il faudra alors de bons réflexes pour s'y
opposer. En cas de tentative, maintenez la tête face à la
difficulté, rétablissez l'arrêt, et rendez aussitôt
les rênes...
A partir du moment où il commence à étendre
l'encolure, le cheval montre qu'il accepte d'y aller. Le reste est
affaire de patience. C'est parce que les cavaliers ne savent ni libérer
la tête, ni faire taire leurs jambes, que leurs chevaux se montrent
si inquiets, et parfois si violents, lorsqu'ils ont peur. Si vous
acceptez de perdre un peu de temps, au début, votre monture prendra de
plus en plus d'assurance, constatant qu'enfin, elle a le droit et les
moyens de se rassurer.
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