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La balade, c’est du sérieux (Cheval Magazine n°339)

article de Véronique de Saint Vaulry

Sous ses airs de récréation, la promenade est une activité plus difficile qu’il n’y paraît : la variété de l’environnement représente en effet une inépuisable source de danger et de contestations

Dans le planning des cavaliers d’intérieur, la balade a toujours des petits airs de récréation : moment béni pour les chevaux qu’on laisse aller, sans trop d’exigences, pendant qu’ils hument l’air revigorant, et que leurs oreilles dansent au rythme des p’tits oiseaux. On en viendrait presque à envier ces cavaliers d'extérieur qui passent leur temps à se promener sans rien faire, perchés sur leurs montures débonnaires. Quoique sachant à peine monter, ça discute, ça plaisante, ça mange des sandwiches, en contemplant le paysage. « Facile, la balade ! », s’imagine-t-on un peu vite Partant de cette fausse idée, nombre d’amateurs s’improvisent propriétaires dès qu’ils trouvent un hectare à louer près de chez eux. Hélas, parfois il s’avère que leur monture se fait de la promenade une idée moins paisible qu’eux. D’écarts en cabrers et de trottinement en demi-tours, ils finissent par se faire peur, voire mal, et bientôt le noble animal finit en décoration de jardin, bête à manger du foin

Voyage au pays du « ouf ! » Certes, à première vue, la promenade semble bien moins risquée que les acrobaties aériennes du cross ou du concours hippique. Pourtant le danger rôde partout, pas toujours facile à déceler pour celui qui s’aventure dehors sans formation spécifique. Bien souvent, les amateurs frôlent des catastrophes avec une totale inconscience. Jusqu’au jour où... C’est par exemple au milieu des vignes, la rencontre d’une grille d’écoulement cachée par les herbes, juste assez large pour y coincer un sabot ; la boîte aux lettres à colombages, tapie dans une haie, qui provoque un bel écart stupéfait au moment où une voiture arrive ; le cheval équipé d’une martingale fixe qui manque se noyer après avoir trébuché dans un gué ; une flaque que l’animal évite d’un coup de rein, raclant le genou de son cavalier contre un arbre ; un retardataire qui trotte dans un tournant pour rattraper le groupe au risque de déraper sur le goudron ; une branche basse qu’on aperçoit à la dernière minute, mais le cheval ne veut pas s’arrêter... Il suffit d’ajouter à cet inventaire quelques « monstres », canoë, chevreuil à décollage vertical, moissonneuse sur chemin étroit, pour que l’aimable promenade tourne définitivement au cauchemar.... À moins de se cantonner à des allées cavalières désertes, larges et damées comme des manèges, l’extérieur peut se révéler un univers menaçant. La sécurité commence par cette prise de conscience. À cavalier prévenu, danger prévenu !

Le paradoxe des influences extérieures
Certes, la plupart du temps, rien de grave ne se produit. On voit même des cavaliers presque débutants dérouler paisiblement leur promenade, malgré une assiette qui penche et des aides improbables. Un tel miracle s’explique par l’extraordinaire influence de l’environnement sur les montures : remorquées par leurs congénères, cadrées par les chemins, calées par une vie équilibrée en pâture, elles jouent honnêtement leur rôle alors qu’elles seraient incapables de la moindre performance individuelle. Un cavalier solitaire ne pourrait sans doute obtenir d’elles ni volte ni départ au galop, à supposer qu’il sache les décoller de la porte du pré ! En effet, dès lors que vous cherchez à pratiquer une équitation d’extérieur indépendante et autonome, les influences extérieures deviennent votre pire ennemi. À cause d’elles, le cheval se met à avoir des envies, des avis, des opinions sur tout. À chaque désaccord, il vient tester votre volonté, votre habileté, votre vigilance, vos outils... Il ne mettra guère de temps à constater les failles et en tirer parti. C’est au sein du groupe que ce problème trouve ses illustrations les plus manifestes : chevaux qui trottinent, qui menacent leurs semblables, qui refusent de marcher en tête, en queue, de se laisser dépasser, de s’éloigner des autres Même la monture la mieux dressée du monde cherchera parfois à vous faire une « infidélité », si elle évolue en troupeau. C’est équin, que voulez-vous ! Hors du groupe, les influences extérieures continuent de distiller leur venin : l’herbe agite langoureusement ses brins odorants sous le nez du cheval, pour le convaincre d’arracher les rênes ; les bâches en plastique s’agitent sur son passage pour tirer de lui les plus belles figures acrobatiques ; le sol s’obstine à être meilleur sous les branches basses, là où le cavalier justement préférerait ne pas aller C’est tout un monde de tentations qui vient perpétuellement perturber la bonne intelligence du couple, remettre en question la vitesse, l’allure, la trajectoire et l’attitude
Celui qui veut accéder aux plaisirs de la promenade ne doit pas en sous-estimer les difficultés. Pour réussir dans ce milieu hostile, il est indispensable d’offrir au cheval une équitation et une éducation qui lui permettent de résister aux influences extérieures et aux mauvaises rencontres. Telle est la voie que cette rubrique vous invitera désormais à explorer.

(Encadré) Un grand terrain de jeux éducatifs !

Dehors, les fleurs sentent bon, les p’tits oiseaux chantent, et le cavalier se sent en vacances Dans ces conditions, il a du mal à penser exercices, programme et règlement, d’autant que les cercles et les figures du travail traditionnel ne « rentrent » pas toujours dans les chemins, et qu’il est souvent nécessaire de laisser au cheval sa liberté de balancier Il est malgré tout possible, et même indispensable, de travailler dehors : c’est important pour le moral du cheval, qui ne comprend pas la discipline intermittente ; c’est essentiel pour la sécurité du couple, dans ce monde hostile et plein de surprises ; et c’est amusant ! Comparé à la plate régularité d’un manège, l’extérieur est un incroyable terrain de jeux éducatifs Un gué, 3 arbres, une pente, un bout de plastique, autant de prétextes ludiques pour améliorer l’entente et l’habileté du couple. 

 

 

 

(Encadré) « J’ai pas l’niveau ! » Beaucoup d’amateurs d’extérieur se refusent à éduquer leur cheval parce qu’ils se sentent incompétents. C’est malheureusement de l’humilité mal placée Qu’il le veuille ou non, et quel que soit son niveau, tout cavalier fait évoluer les bonnes manières de sa monture : Chaque fois qu’il la laisse par exemple dépasser en main, bouger au montoir, changer d’allure sans permission, négliger une pression de jambes, il fait régresser son éducation. Chaque fois qu’il l’empêche de faire l’une ou l’autre de ces bêtises, il préserve ou améliore son éducation. Même une simple balade à l’heure, dans les marais de Noirmoutiers ou les bruyères du Haut-Languedoc, est un acte éducatif. Votre monture d’un jour reviendra de son petit périple un peu mieux élevée, ou moins bien, tout dépend de vous !

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