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Mieux que les aides, les contrats

(Cheval Magazine n°340, mars 2000)

article de Véronique de Saint Vaulry

"Sans la liberté de fauter, il n’est pas de contrat de valeur."
En extérieur, les aides tactiles ne suffisent pas. Pour s’adapter au besoin d’autonomie du cheval, et améliorer sa sécurité, le cavalier doit se tourner vers les contrats.

Au manège, l’esprit et les pieds du cheval naviguent sans encombre sur la platitude d’un sol mou et régulier, par des cloisons aveugles borné. Autant dire que les demandes du cavalier - qui servent de remède contre l’ennui - sont volontiers écoutées Mais une fois dehors, rien ne va plus ! L’animal est très occupé Il lui faut scruter les alentours pour ne pas se laisser surprendre par un éventuel danger, prêter attention aux irrégularités du sol, maintenir sa place dans le groupe, chasser les mouches Il a du travail ! C’est malheureusement un « détail » que l’équitation traditionnelle n’a pas prévu, puisqu’elle encadre soigneusement le cheval dans des aides ajustées, en lui demandant de se laisser faire comme un pantin. S’il a besoin de baisser le nez pour scruter une flaque boueuse, il lui faudra tirer sur les rênes, c'est-à-dire désobéir aux mains. S’il n’ose pas le faire, l’inquiétude le contraindra à ralentir, s’arrêter, ou dérober, c'est-à-dire encore désobéir... Que d’indisciplines en germe dans une simple flaque !


À chercher un contrôle physique total, le cavalier d'extérieur va surtout travailler contre sa monture. Prise en tenaille entre la pression de l’environnement et la pression des aides, la pauvre bête risque de développer des résistances physiques, coups de tête, lourdeur à la main, paresse aux jambes, ou de « craquer » nerveusement : excitation, écarts et mouvements de peur... Bien des chevaux lancent ainsi de visibles signaux de détresse parce qu’ils sont victimes d’un carcan d’aides trop rigide, inadapté à l’extérieur. Hélas, les cavaliers croient que leur partenaire « est comme ça », et continuent à le monter comme en manège, sans se douter qu’un changement d’équitation suffirait à le soigner : une fois le balancier libéré, les coups de tête disparaissent, l’excitation s’apaise, et les craintes s’estompent. C’est prouvé.

Libre mais pas abandonné
Certes, à première vue, il paraît inutilement risqué de lâcher la tête de sa monture, dans ce milieu hostile et plein de mauvaises surprises Surtout si l’on a déjà du mal à l’empêcher de grimper aux arbres quand on la tient Il est en outre dangereux de se contenter d’une discipline intermittente, porte ouverte à la contestation : le cheval à qui l’on permet de zigzaguer sur les chemins, pour passer au large des tas de bois qui l’inquiètent, risque de reproduire cet exploit au bord de la grand-route. Est-ce bien raisonnable ? En fait, il ne s’agit en aucun cas de le laisser agir à sa guise. Le cavalier ne va pas l’abandonner à lui-même, mais simplement relâcher le contrôle physique, au profit d’un contrôle moral. Au lieu d’encadrer sa monture dans les aides, il l’encadre dans des règlements. C’est le principe des contrats.

Supposons par exemple un cheval arrêté : Chez le cavalier traditionnel, les rênes restent ajustées, ou demi-ajustées, pour maintenir l’immobilité ; forcément, dès qu’elles se relâchent, l’animal redémarre ou se met à brouter. Chez le cavalier qui travaille par contrat, les rênes sont largement rendues dès l’arrêt obtenu. Bien sûr, se croyant libre, la monture cherche à bouger Alors, aussitôt, les rênes interviennent, rétablissent l’immobilité, puis se relâchent ; et ainsi de suite, jusqu’à ce que le cheval ait compris que pour avoir la paix, il lui suffit de rester immobile. Au fil des leçons, sa fiabilité va augmenter, et permettre au cavalier de se consacrer à d’autres activités : lecture de carte, ressanglage, montoir, rangement d’une sacoche ou cueillette des cerises N’importe quelle monture peut comprendre les bases de ce « contrat » en quelques minutes. La suite dépend de la vigilance du cavalier : s’il manque de constance et ne veille pas systématiquement à l’application du contrat, son élève ne progressera guère, et risque de passer son temps à tester ce règlement intermittent, surtout lorsqu’une touffe d’herbe passe trop près. 

Une révolution
Devenir un bon cavalier d’extérieur, c’est donc agir beaucoup moins souvent avec ses mains (ou ses jambes), et beaucoup plus avec son cerveau ! Lorsqu’on décide de faire appliquer un règlement, il ne faut plus l’oublier, jusqu’à ce que la vigilance soit devenue quasi automatique. Pas facile, au début, mais les avantages à en attendre méritent cet effort : Les contrats permettent de libérer le balancier, ce qui développe le calme et la confiance du cheval, et préserve sa sensibilité aux aides. Nous y reviendrons le mois prochain. Ils incitent le cavalier à réfléchir à ses exigences, et l’aident à devenir plus constant, donc mieux compris et respecté par sa monture. Ils engagent la participation du cheval. Plus responsable, il s’intéresse davantage à son travail et devient plus attentif. Il installent la sécurité à bord, en jouant le rôle de garde-fous. Quand un cavalier traditionnel perd le contrôle de ses aides, il perd le contrôle de son cheval ; pas le cavalier d'extérieur, qui peut encore compter sur les contrats !
C’est évidemment dans les situations de crise que cette sécurité se révèle le mieux. Prenons l’exemple d’une monture qui a appris à « conserver le pas », rênes en guirlandes, dans des situations de plus en plus difficiles : pentes, chemin du retour, dépassement par un congénère au trot. Le jour où un chevreuil (ou un TGV) jaillira d’un buisson, l’animal sursautera sans doute un peu, puis reprendra de lui-même le pas, avant que son cavalier ait seulement eu le temps de réagir. Incroyable mais vrai ! Quand on cesse de le traiter comme une machine, le cheval commence à se comporter comme un être pensant...

(encadré)

Les contrats de base Il suffit d’un petit nombre de contrats pour faire un excellent cheval d’extérieur. Se concentrer sur l’essentiel permet d’être plus vigilant Rappelons qu’aucune aide ne doit « entretenir » l’obéissance, ni jambes, ni main, ni geste, ni voix Le cavalier n’intervient qu’une fois le règlement transgressé. 
1/ Un cheval qui tient ses distances: en main, le cheval ne doit pas s’approcher à moins d’1 mètre de vous. Question de sécurité, mais aussi de hiérarchie Monté, il doit conserver un intervalle par rapport à celui qui le précède. À vous de décider lequel.. 
2/ Un cheval qui tient ses allures : Ne pas changer d’allure (pas, trot, galop) jusqu’à nouvel ordre. Maintenir l’immobilité sans bouger, et sans brouter, y compris au montoir. 
3/ Un cheval qui tient sa trajectoire : Suivre l’axe donné par le cavalier ( bas-côté, chemin, direction) sans se déporter. Ce contrat présente l’intérêt considérable de limiter les débordements dus à la peur (écarts, demi-tours).

(Encadré) Liberté, stabilité, fiabilité Le cheval est très observateur : s’il décèle dans vos aides des indices de la surveillance que vous exercez, il s’abstiendra de faire des bêtises, jusqu’à ce que votre attention se relâche Aussi l’établissement d’un contrat fiable suppose-t-il des aides réellement relâchées, pour que l’animal puisse exercer sa liberté. Le résultat est édifiant, ici, à l’épreuve du montoir, Championnat du Monde de TREC 1999 : cette cavalière, qui peine à s’arracher de la boue gluante, peut compter sur la sagesse de son cheval, parce qu’il respecte un contrat. Ce jour-là, les concurrents qui avaient choisi d’imposer l’immobilité par le biais de rênes ajustées ont eu moins de « chance ». À noter cependant que par sécurité, il faut toujours garder en main l’extrémité des rênes, pour rester en mesure d’intervenir en cas de besoin.

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