"Sans la liberté de fauter, il n’est pas de contrat de valeur."
En extérieur, les aides tactiles ne suffisent pas. Pour
s’adapter au besoin d’autonomie du cheval, et améliorer sa sécurité, le
cavalier doit se tourner vers les contrats.
Au manège, l’esprit et les pieds du cheval naviguent sans encombre
sur la platitude d’un sol mou et régulier, par des cloisons aveugles borné.
Autant dire que les demandes du cavalier - qui servent de remède contre
l’ennui - sont volontiers écoutées Mais une fois dehors, rien ne va plus
! L’animal est très occupé Il lui faut scruter les alentours pour ne pas
se laisser surprendre par un éventuel danger, prêter attention aux irrégularités
du sol, maintenir sa place dans le groupe, chasser les mouches Il a du travail
! C’est malheureusement un « détail » que l’équitation traditionnelle n’a
pas prévu, puisqu’elle encadre soigneusement le cheval dans des aides ajustées,
en lui demandant de se laisser faire comme un pantin. S’il a besoin de baisser
le nez pour scruter une flaque boueuse, il lui faudra tirer sur les rênes,
c'est-à-dire désobéir aux mains. S’il n’ose pas le faire, l’inquiétude le
contraindra à ralentir, s’arrêter, ou dérober, c'est-à-dire encore désobéir...
Que d’indisciplines en germe dans une simple flaque !
À chercher un contrôle
physique total, le cavalier d'extérieur va surtout travailler contre sa
monture. Prise en tenaille entre la pression de l’environnement et la pression
des aides, la pauvre bête risque de développer des résistances physiques,
coups de tête, lourdeur à la main, paresse aux jambes, ou de « craquer »
nerveusement : excitation, écarts et mouvements de peur... Bien des chevaux
lancent ainsi de visibles signaux de détresse parce qu’ils sont victimes
d’un carcan d’aides trop rigide, inadapté à l’extérieur. Hélas, les cavaliers
croient que leur partenaire « est comme ça », et continuent à le monter
comme en manège, sans se douter qu’un changement d’équitation suffirait
à le soigner : une fois le balancier libéré, les coups de tête disparaissent,
l’excitation s’apaise, et les craintes s’estompent. C’est prouvé.
Libre mais pas abandonné
Certes, à première vue, il
paraît inutilement risqué de lâcher la tête de sa monture, dans ce milieu
hostile et plein de mauvaises surprises Surtout si l’on a déjà du mal à
l’empêcher de grimper aux arbres quand on la tient Il est en outre dangereux
de se contenter d’une discipline intermittente, porte ouverte à la contestation
: le cheval à qui l’on permet de zigzaguer sur les chemins, pour passer
au large des tas de bois qui l’inquiètent, risque de reproduire cet exploit
au bord de la grand-route. Est-ce bien raisonnable ? En fait, il ne s’agit
en aucun cas de le laisser agir à sa guise. Le cavalier ne va pas l’abandonner
à lui-même, mais simplement relâcher le contrôle physique, au profit d’un
contrôle moral. Au lieu d’encadrer sa monture dans les aides, il l’encadre
dans des règlements. C’est le principe des contrats.

Supposons par exemple un cheval arrêté : Chez le cavalier traditionnel,
les rênes restent ajustées, ou demi-ajustées, pour maintenir l’immobilité
; forcément, dès qu’elles se relâchent, l’animal redémarre ou se met à brouter.
Chez le cavalier qui travaille par contrat, les rênes sont largement rendues
dès l’arrêt obtenu. Bien sûr, se croyant libre, la monture cherche à bouger
Alors, aussitôt, les rênes interviennent, rétablissent l’immobilité, puis
se relâchent ; et ainsi de suite, jusqu’à ce que le cheval ait compris que
pour avoir la paix, il lui suffit de rester immobile. Au fil des leçons,
sa fiabilité va augmenter, et permettre au cavalier de se consacrer à d’autres
activités : lecture de carte, ressanglage, montoir, rangement d’une sacoche
ou cueillette des cerises N’importe quelle monture peut comprendre les bases
de ce « contrat » en quelques minutes. La suite dépend de la vigilance du
cavalier : s’il manque de constance et ne veille pas systématiquement à
l’application du contrat, son élève ne progressera guère, et risque de passer
son temps à tester ce règlement intermittent, surtout lorsqu’une touffe
d’herbe passe trop près.
Une révolution
Devenir un bon cavalier d’extérieur,
c’est donc agir beaucoup moins souvent avec ses mains (ou ses jambes), et
beaucoup plus avec son cerveau ! Lorsqu’on décide de faire appliquer un
règlement, il ne faut plus l’oublier, jusqu’à ce que la vigilance soit devenue
quasi automatique. Pas facile, au début, mais les avantages à en attendre
méritent cet effort : Les contrats permettent de libérer le balancier, ce
qui développe le calme et la confiance du cheval, et préserve sa sensibilité
aux aides. Nous y reviendrons le mois prochain. Ils incitent le cavalier
à réfléchir à ses exigences, et l’aident à devenir plus constant, donc mieux
compris et respecté par sa monture. Ils engagent la participation du cheval.
Plus responsable, il s’intéresse davantage à son travail et devient plus
attentif. Il installent la sécurité à bord, en jouant le rôle de garde-fous.
Quand un cavalier traditionnel perd le contrôle de ses aides, il perd le
contrôle de son cheval ; pas le cavalier d'extérieur, qui peut encore compter
sur les contrats !
C’est évidemment dans les situations de crise que cette
sécurité se révèle le mieux. Prenons l’exemple d’une monture qui a appris
à « conserver le pas », rênes en guirlandes, dans des situations de plus
en plus difficiles : pentes, chemin du retour, dépassement par un congénère
au trot. Le jour où un chevreuil (ou un TGV) jaillira d’un buisson, l’animal
sursautera sans doute un peu, puis reprendra de lui-même le pas, avant que
son cavalier ait seulement eu le temps de réagir. Incroyable mais vrai !
Quand on cesse de le traiter comme une machine, le cheval commence à se
comporter comme un être pensant...