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Un autre usage des rênes :
(I) pourquoi changer ?
(II) Comment s'y prendre ?

(Cheval Magazine n°341-342, avril-mai 00)

article de Véronique de Saint Vaulry

À vouloir monter à l’extérieur comme il le fait en manège, le cavalier risque de méconnaître gravement les besoins physiques et psychiques de son cheval. Une adaptation s’impose.

Alors que l’extérieur connaît un développement fulgurant, que les cavaliers se précipitent dehors par milliers, l’enseignement officiel continue à transmettre une équitation de barres et de rectangles. « Des jambes, des jambes », prescrit-on à l’élève dont le cheval se bloque devant la rivière, au risque de retrouver l’un tout debout et l’autre par terre... Pourquoi la formation échoue-t-elle aujourd’hui à comprendre et à intégrer les spécificités de l’extérieur ? Sans doute parce qu’il n’est pas facile de se remettre en question une fois qu’on est devenu un bon spécialiste. Changer d’équitation, c’est comme essayer d’écrire de la main gauche : le corps (verrouillé par ses automatismes) en a si peu envie que le cerveau refuse de l’envisager.
Aussi l’élite équestre, formée « à l’intérieur », reste bloquée sur sa position. Et les cavaliers d’extérieur, mal conseillés, rencontrent de telles difficultés qu’ils se tournent en masse vers l’équitation western, vers Parelli, ou vers d’autres doctrines moins recommandables. Avec un zeste de bon sens et deux doigts de psychologie, notre tradition équestre pourrait facilement s’adapter à la pratique de l’extérieur - comme elle s’est adaptée en son temps à celle de l’obstacle. A condition de reconsidérer certains usages, et en particulier celui des mains, ces mains qui apprennent, dès leur première reprise, à ajuster les rênes et à garder bien précieusement le contact. Et si c’était une erreur ?

Désobéissances provoquées
Imaginons pour commencer un cheval parfaitement dressé, monté par un cavalier hors pair, le genre de couple qui ne court pas les manèges, et moins encore les campagnes Posée sur la main, la monture est dans « une attitude juste, qui permet un contrôle optimal par le cavalier », si l’on en croit les manuels. Que va-t-il se passer une fois nos héros placés dans les conditions réelles de l’extérieur, avec vent qui souffle, chemins caillouteux, chien dans la haie et camions qui klaxonnent ? D’abord, la monture, qui n’est pas de bois, va jeter de petits coups d’oeil inquiets sur toutes les menaces qui l’entourent. Mais son oeil est ainsi fait qu’elle ne peut les voir tous si elle garde son chanfrein ramené. Dilemme ! Tirera-t-elle sur les rênes (oh, la vilaine désobéissance !) pour mettre sa tête dans une position favorable à l’observation de l’ennemi, à droite, à gauche, au loin, au sol ? Ou avancera-t-elle en aveugle jusqu’à se laisser surprendre par l’un des monstres, qu’elle saluera alors d’un coup de frein stupéfait, d’un écart acrobatique, ou d’un demi-tour catastrophe (oh, les vilaines désobéissances !) ?
Mais voilà qu’un mauvais plaisant a remplacé la belle sciure lisse de d’habitude par un sol traître et fourbe, qui ne tient pas ses promesses. Les cailloux roulent sous les pieds, la roche dérape, la boue glisse, le bas-côté se dérobe, miné par les surmulots. À chaque faux-pas, il faut donner un coup de balancier pour se rattraper… en se cognant les dents sur ces impitoyables rênes ajustées. Il se trouve même des cavaliers (99%, à peu près) qui croient que c’est le “ secours ” des rênes qui empêche le cheval de tomber, aussi vrai que le soleil tourne autour de la terre. Alors forcément, le sourire jaune de notre plus belle conquête s’élargit. Et son pas se rétrécit, prudent, pour ne point trop secouer son balancier, au bout duquel le mors menace.
Aussitôt, la voilà rattrapée par un essaim de mouches. Une aubaine, il faut dire, cette bête qui n’a pas le droit de bouger la tête. Assaillie, la victime finit par craquer et donner un petit coup de tête de temps en temps (oh, la vilaine désobéissance !).Après 2 heures de garde-à-vous, il était d’ailleurs urgent de s’étirer un peu, d’autant que le cavalier, fatigué, finit par devenir moins liant...

Le massacre des innocents
Abandonnons maintenant notre couple parfait pour nous tourner vers les autres, ceux qui ont appris tous seuls, ou qui n’ont que quelques années de club. Une chose est sûre, de tous les conseils, ils ont retenu le pire : garder leurs rênes ajustées. Or tout corps posé en équilibre instable sur une masse mouvante et imprévisible cherche par réflexe à s’accrocher à quelque chose, et de préférence le frein ! Voilà qui condamne les rênes à jouer le rôle de poignées de secours pour conjurer les défaillances de l’assiette, surtout lors des montées, des sauts, ou des écarts. Il arrive qu’un cheval ainsi traité se retourne par erreur comme une crêpe, mais la plupart se contentent de clamer des protestations muettes, le bec ouvert.
Même si l’animal supporte avec patience ces mains ni très douces ni très fixes qui restent agrippées à sa bouche, c’est plus fort que lui, par réflexe d’opposition, son nez pointe vers le haut, et l’oblige à creuser le dos. Exactement l’attitude à éviter quand on doit porter un lourd chargement pendant des journées entières. Si par miracle le cavalier, touché par la grâce, posait sa main devant le garrot, rênes en guirlandes, au pas, il verrait son partenaire, en quelques secondes, abaisser son encolure à l’horizontale et retrouver un pas ample et efficace. Mais pour s’assurer une (trompeuse) impression de contrôle, l’homme préfère rester arrimé à ses rênes tendues, et leur cortège d’effets secondaires : endurcissement, frénésie, coups de têtes, résistances, arrachage de rênes, angoisses chroniques, trottinement... Dans cette affaire, les seuls gagnants sont les marchands d’embouchures et d’enrênements.
Il serait infiniment plus sage d’économiser le « capital-bouche » en se passant du contact tant qu’il n’y a rien à demander au cheval, c'est-à-dire les 3/4 du temps Bien sûr, on ne laisse pas les rênes s’arrondir sans expliquer deux ou trois choses à sa monture, pour assurer sa collaboration et la sécurité : des techniques à découvrir ci-dessous.

(encadré) Il tient debout tout seul
Beaucoup de cavaliers craignent d’abandonner les rênes parce qu’ils les croient nécessaires à l’équilibre de leur monture. Impression illusoire ! Il est vrai qu’un cavalier confirmé peut se servir des rênes pour demander un report de poids sur les hanches, afin d’obtenir un petit galop rassemblé, un virage en équilibre, ou une manoeuvre délicate. Mais le fait de les ajuster ne garantit pas du tout ce report, ni même la bonne disposition du dos, au contraire. Dans bien des cas, on voit des chevaux à l’envers et/ou sur les épaules à cause des rênes ajustées.

(encadré) Garde-fous en construction
Tant que le cheval est encadré dans les aides, il se contente de se laisser faire, et n’apprend pas à respecter des contrats (cheval mag n°340). En cas de problème, le cavalier ne peut alors compter que sur son habileté à « tenir » sa monture. Or c’est justement la libération du balancier qui se révèle le remède le plus efficace contre la peur et l’excitation. L’éducateur avisé profitera donc des moments paisibles pour monter rênes en guirlandes, afin d’enseigner les contrats qui serviront ensuite de garde-fous dans les moments difficiles.

Un autre usage des rênes (suite):
(II) Comment s'y prendre ?

(Cheval Magazine n°342, mai 00)

Pour monter rênes longues agréablement, cavalier et montures doivent acquérir quelques automatismes nouveaux. Au travail !

Le mois dernier, cette rubrique énumérait les inconvénients du contact permanent en équitation d’extérieur. Mais pour le lecteur de bonne volonté qui s’est laissé convaincre d’arrondir ses rênes, quelques difficultés sont à prévoir. Car sa monture, non encore formée aux contrats, va au début s’imaginer qu’elle est libre de prendre le trot, de brouter, ou de faire demi-tour vers l’écurie. En outre, comme elle ne sait pas encore répondre au poids des rênes, son cavalier rencontrera quelques difficultés de pilotage, compliquées par son manque de pratique. Il y a de quoi renoncer sur le champ ! D’ailleurs les mains sont bien de cet avis, qui réajustent sans cesse les rênes, d’elles-mêmes, comme animées d’une vie indépendante…

Larguez les amarres !
Bien souvent, le cavalier coupe la poire en deux, espérant conserver les avantages des deux méthodes sans en subir les inconvénients : il détend légèrement ses rênes pour rompre le contact sans perdre le contrôle, croyant monter “ rênes longues ”. Hélas, son cheval, qui sent la main toute proche, ne se relaxe pas. Il garde une attitude d’encolure contrainte (dessin ci-contre), marche d’un pas étriqué, continue à s’effrayer d’un rien, et à se méfier de cette main contre laquelle il se cogne à chaque faux-pas.
Pour bénéficier des effets apaisants et décontractants de la liberté de balancier, il faut, dès le début, laisser ses rênes former un bel arrondi. C’est la clé du progrès ! Surtout, ne pas les rendre progressivement, centimètre par centimètre… Surtout, ne pas lever la main de conduite pour compenser tout ce mou inhabituel. C’est tout ou rien.
Afin de ménager néanmoins une certaine progressivité, le cavalier choisira un environnement rassurant pour faire ses premiers pas : la carrière, le manège ou la cour, un chemin bien encadré, la présence d’un sage maître d’école… Ainsi il pourra se familiariser avec les manipulations de rênes, et commencer en toute tranquillité la formation de son cheval.
Il est parfaitement normal que celui-ci se montre alors flottant, et qu’il regarde beaucoup autour de lui : contrairement à ce que pourrait supposer le cavalier, ce n’est pas qu’il s’inquiète d’être “ privé ” des rênes, mais simplement qu’il rattrape le temps perdu. Chaque coup d’œil donné, c’est un risque d’écart en moins. Les tempéraments inquiets le font énormément au début, puis ça se tasse. On voit d’ailleurs mal comment le fait de récupérer l’usage de son balancier pourrait effrayer le cheval, alors qu’il en est le légitime propriétaire… Ce n’est même pas un cadeau, juste une restitution…
Il est normal, et même souhaitable, qu’il tente alors quelques expériences pour voir jusqu’où cette liberté toute neuve le conduit. Peut-il passer à l’allure supérieure ? non ! Peut-il regarder autour d’elle ? oui ! Peut-il zig-zaguer ? non ! Peut-il étendre et abaisser l’encolure ? oui ! Peut-il goûter cette touffe d’herbe qui lui tend les bras ? non ! Exercez une surveillance patiente, en intervenant sur les rênes dès qu’une limite est franchie, puis en les reposant aussitôt sur l’encolure (= récompense) : c’est ainsi que les contrats commencent à se mettre en place… et que la sécurité s’installe peu à peu.
Alors vous proposerez à votre partenaire de nouveaux défis : garder le pas à l’abord des pentes, sur le chemin du retour, rester immobile pendant un ressanglage, trotter ou galoper sans précipiter, etc.

Au poids du cuir
À nouvelle longueur de rênes, nouveaux réflexes à acquérir... Le cavalier doit rapidement apprendre à maîtriser ses rênes pendantes, afin de revenir au contact dans la seconde lorsqu’il faut imposer un tourner ou un ralentissement. Tout délai pourrait laisser penser au cheval qu’il est mal gouverné…
Commencer l’entraînement dès les premiers pas rênes longues, afin de profiter du cadre sécurisant évoqué plus haut. En travaillant sur de fréquents changements de vitesse et de direction, le cavalier va développer l’efficacité de ses gestes, et former sa monture à répondre au poids des rênes. Ainsi, son contrôle s’améliorera rapidement, faisant disparaître le sentiment d’impuissance des débuts…
Veiller à annoncer chaque demande par un léger déplacement de la main de conduite (voir dessin). Une seconde plus tard, si le cheval n’a pas répondu, concrétiser l’intervention (retour au contact, jambes…). À force, l’animal remarquera le lien de cause à effet entre les deux actions, et finira par anticiper, pour préserver son confort, se laissant finalement conduire avec deux doigts…
Pour une meilleure compréhension, travailler sur des séries, où la même alternance est répétée 10 à 15 fois. Par exemple arrêt/pas/arrêt, ou trot lent / trot rapide / trot lent, zig-zag d’un bas-côté à l’autre, slalom entre des peupliers, des platanes ou des cônes… Petit à petit, le cheval se prendra au jeu, commencera à se préparer au mouvement qui l’attend, et à répondre à l’aide “ extra-fine ”. Féliciter abondamment, faire une pause, puis recommencer une série en apportant de petites modifications pour améliorer l’écoute : retarder un peu certaines demandes, ne tourner qu’à un peuplier sur deux, etc.

Les résultats ne tardent guère, car les chevaux apprécient tellement leur liberté de bouche et de balancier qu’ils se montrent des élèves très motivés. Une direction assistée installée à si peu de frais, ça ne se refuse pas !

Encadré Les bons gestes
Au début,le réflexe naturel du cavalier consiste à conserver une rêne dans chaque main, méthode qui se révèle décevante : il faut faire de grands gestes, le retour au contact est trop lent, la bouche risque de subir des saccades.
Pour pouvoir intervenir dans la seconde, avec un moelleux suffisant, les rênes doivent être tenues, par la couture ou le flot, dans une seule main. Lorsqu’il faut ralentir, on élève cette main verticalement, pour “ réduire le mou ”, pendant que l’autre main descend verticalement se poser sur les rênes, prenant ainsi le contact  sans à-coup.
Pour tourner, même scénario, sauf que la main de conduite commence par se déporter du côté souhaité, sans reculer (= “ rêne d’encolure ”), l’autre main venant si nécessaire agir sur la rêne intérieure, qui devient rêne d’ouverture.
Très vite, le cheval apprend à reconnaître l’amorce de l’intervention, et se met à obéir au moindre déplacement de main (c’est le but recherché), évitant ainsi une intervention plus contraignante.

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