À vouloir monter à l’extérieur comme il le fait en manège, le
cavalier risque de méconnaître gravement les besoins physiques et psychiques
de son cheval. Une adaptation s’impose.
Alors que l’extérieur connaît un développement fulgurant, que les
cavaliers se précipitent dehors par milliers, l’enseignement officiel
continue à transmettre une équitation de barres et de rectangles. « Des
jambes, des jambes », prescrit-on à l’élève dont le cheval se bloque
devant la rivière, au risque de retrouver l’un tout debout et l’autre
par terre... Pourquoi la formation échoue-t-elle aujourd’hui à
comprendre et à intégrer les spécificités de l’extérieur ? Sans doute
parce qu’il n’est pas facile de se remettre en question une fois qu’on
est devenu un bon spécialiste. Changer d’équitation, c’est comme
essayer d’écrire de la main gauche : le corps (verrouillé par ses
automatismes) en a si peu envie que le cerveau refuse de l’envisager.
Aussi l’élite équestre, formée « à l’intérieur », reste
bloquée sur sa position. Et les cavaliers d’extérieur, mal conseillés,
rencontrent de telles difficultés qu’ils se tournent en masse vers l’équitation
western, vers Parelli, ou vers d’autres doctrines moins recommandables.
Avec un zeste de bon sens et deux doigts de psychologie, notre tradition
équestre pourrait facilement s’adapter à la pratique de l’extérieur -
comme elle s’est adaptée en son temps à celle de l’obstacle. A
condition de reconsidérer certains usages, et en particulier celui des
mains, ces mains qui apprennent, dès leur première reprise, à ajuster les
rênes et à garder bien précieusement le contact. Et si c’était une
erreur ?
Désobéissances provoquées
Imaginons pour commencer un cheval parfaitement dressé, monté par
un cavalier hors pair, le genre de couple qui ne court pas les manèges, et
moins encore les campagnes Posée sur la main, la monture est dans « une
attitude juste, qui permet un contrôle optimal par le cavalier », si l’on
en croit les manuels. Que va-t-il se passer une fois nos héros placés dans
les conditions réelles de l’extérieur, avec vent qui souffle, chemins
caillouteux, chien dans la haie et camions qui klaxonnent ? D’abord, la
monture, qui n’est pas de bois, va jeter de petits coups d’oeil inquiets sur
toutes les menaces qui l’entourent. Mais son oeil est ainsi fait qu’elle ne
peut les voir tous si elle garde son chanfrein ramené. Dilemme ! Tirera-t-elle
sur les rênes (oh, la vilaine désobéissance !) pour mettre sa tête dans
une position favorable à l’observation de l’ennemi, à droite, à gauche,
au loin, au sol ? Ou avancera-t-elle en aveugle jusqu’à se laisser
surprendre par l’un des monstres, qu’elle saluera alors d’un coup de
frein stupéfait, d’un écart acrobatique, ou d’un demi-tour catastrophe
(oh, les vilaines désobéissances !) ?
Mais voilà qu’un mauvais plaisant a remplacé la belle sciure lisse de
d’habitude par un sol traître et fourbe, qui ne tient pas ses promesses.
Les cailloux roulent sous les pieds, la roche dérape, la boue glisse, le
bas-côté se dérobe, miné par les surmulots. À chaque faux-pas, il faut donner
un coup de balancier pour se rattraper… en se cognant les dents sur ces impitoyables
rênes ajustées. Il se trouve même des cavaliers (99%, à peu près) qui croient
que c’est le “ secours ” des rênes qui empêche le cheval de tomber,
aussi vrai que le soleil tourne autour de la terre. Alors forcément, le sourire
jaune de notre plus belle conquête s’élargit. Et son pas se rétrécit, prudent,
pour ne point trop secouer son balancier, au bout duquel le mors menace.
Aussitôt, la voilà rattrapée par un essaim de mouches. Une aubaine, il faut
dire, cette bête qui n’a pas le droit de bouger la tête. Assaillie, la victime
finit par craquer et donner un petit coup de tête de temps en temps (oh, la vilaine
désobéissance !).Après 2 heures de garde-à-vous, il était d’ailleurs urgent
de s’étirer un peu, d’autant que le cavalier, fatigué, finit par devenir moins liant...
Le massacre des innocents
Abandonnons maintenant notre couple parfait pour nous tourner vers les
autres, ceux qui ont appris tous seuls, ou qui n’ont que quelques années de
club. Une chose est sûre, de tous les conseils, ils ont retenu le pire :
garder leurs rênes ajustées. Or tout corps posé en équilibre instable sur
une masse mouvante et imprévisible cherche par réflexe à s’accrocher à
quelque chose, et de préférence le frein ! Voilà qui condamne les rênes à
jouer le rôle de poignées de secours pour conjurer les défaillances de l’assiette,
surtout lors des montées, des sauts, ou des écarts. Il arrive qu’un cheval
ainsi traité se retourne par erreur comme une crêpe, mais la plupart se
contentent de clamer des protestations muettes, le bec ouvert.
Même si l’animal supporte avec patience ces mains ni très douces ni
très fixes qui restent agrippées à sa bouche, c’est plus fort que lui,
par réflexe d’opposition, son nez pointe vers le haut, et l’oblige à
creuser le dos. Exactement l’attitude à éviter quand on doit porter un
lourd chargement pendant des journées entières. Si par miracle le cavalier,
touché par la grâce, posait sa main devant le garrot, rênes en guirlandes,
au pas, il verrait son partenaire, en quelques secondes, abaisser son encolure
à l’horizontale et retrouver un pas ample et efficace. Mais pour s’assurer
une (trompeuse) impression de contrôle, l’homme préfère rester arrimé à
ses rênes tendues, et leur cortège d’effets secondaires : endurcissement,
frénésie, coups de têtes, résistances, arrachage de rênes, angoisses
chroniques, trottinement... Dans cette affaire, les seuls gagnants sont les
marchands d’embouchures et d’enrênements.
Il serait infiniment plus sage d’économiser le « capital-bouche »
en se passant du contact tant qu’il n’y a rien à demander au cheval,
c'est-à-dire les 3/4 du temps Bien sûr, on ne laisse pas les rênes s’arrondir
sans expliquer deux ou trois choses à sa monture, pour assurer sa
collaboration et la sécurité : des techniques à découvrir ci-dessous.
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Pour monter rênes longues agréablement,
cavalier et montures doivent acquérir quelques automatismes nouveaux.
Au travail !
Le mois dernier, cette rubrique énumérait les
inconvénients du contact permanent en équitation d’extérieur. Mais
pour le lecteur de bonne volonté qui s’est laissé convaincre
d’arrondir ses rênes, quelques difficultés sont à prévoir. Car sa
monture, non encore formée aux contrats, va au début
s’imaginer qu’elle est libre de prendre le trot, de brouter, ou de
faire demi-tour vers l’écurie. En outre, comme elle ne sait pas
encore répondre au poids des rênes, son cavalier rencontrera quelques
difficultés de pilotage, compliquées par son manque de pratique. Il y
a de quoi renoncer sur le champ ! D’ailleurs les mains sont bien
de cet avis, qui réajustent sans cesse les rênes, d’elles-mêmes,
comme animées d’une vie indépendante…
 Larguez les amarres !
Bien souvent, le cavalier coupe la poire en deux,
espérant conserver les avantages des deux méthodes sans en subir les
inconvénients : il détend légèrement ses rênes pour
rompre le contact sans perdre le contrôle, croyant monter “ rênes
longues ”. Hélas, son cheval, qui sent la main toute proche, ne
se relaxe pas. Il garde une attitude d’encolure contrainte (dessin
ci-contre), marche
d’un pas étriqué, continue à s’effrayer d’un rien, et à se méfier
de cette main contre laquelle il se cogne à chaque faux-pas.
Pour bénéficier des effets apaisants et décontractants
de la liberté de balancier, il faut, dès le début, laisser ses rênes
former un bel arrondi. C’est la clé du progrès !
Surtout, ne pas les rendre progressivement, centimètre par centimètre…
Surtout, ne pas lever la main de conduite pour compenser tout ce mou
inhabituel. C’est tout ou rien.
Afin de ménager néanmoins une certaine
progressivité, le cavalier choisira un environnement rassurant pour
faire ses premiers pas : la carrière, le manège ou la cour, un
chemin bien encadré, la présence d’un sage maître d’école…
Ainsi il pourra se familiariser avec les manipulations de rênes, et
commencer en toute tranquillité la formation de son cheval.
Il est parfaitement normal que celui-ci se montre
alors flottant, et qu’il regarde beaucoup autour de lui :
contrairement à ce que pourrait supposer le cavalier, ce n’est pas
qu’il s’inquiète d’être “ privé ” des rênes,
mais simplement qu’il rattrape le temps perdu. Chaque coup d’œil
donné, c’est un risque d’écart en moins. Les tempéraments
inquiets le font énormément au début, puis ça se tasse. On voit
d’ailleurs mal comment le fait de récupérer l’usage de son
balancier pourrait effrayer le cheval, alors qu’il en est le légitime
propriétaire… Ce n’est même pas un cadeau, juste une
restitution…
Il est normal, et même souhaitable, qu’il tente
alors quelques expériences pour voir jusqu’où cette liberté toute
neuve le conduit. Peut-il passer à l’allure supérieure ? non !
Peut-il regarder autour d’elle ? oui ! Peut-il zig-zaguer ?
non ! Peut-il étendre et abaisser l’encolure ? oui !
Peut-il goûter cette touffe d’herbe qui lui tend les bras ? non !
Exercez une surveillance patiente, en intervenant sur les rênes dès
qu’une limite est franchie, puis en les reposant aussitôt sur
l’encolure (= récompense) : c’est ainsi que les contrats
commencent à se mettre en place… et que la sécurité s’installe
peu à peu.
Alors vous proposerez à votre partenaire de
nouveaux défis : garder le pas à l’abord des pentes, sur le
chemin du retour, rester immobile pendant un ressanglage, trotter ou
galoper sans précipiter, etc.
Au poids du cuir
À nouvelle longueur de rênes, nouveaux réflexes
à acquérir... Le cavalier doit rapidement apprendre à maîtriser ses
rênes pendantes, afin de revenir au contact dans la seconde
lorsqu’il faut imposer un tourner ou un ralentissement. Tout délai
pourrait laisser penser au cheval qu’il est mal gouverné…
Commencer l’entraînement dès les premiers pas rênes
longues, afin de profiter du cadre sécurisant évoqué plus haut. En
travaillant sur de fréquents changements de vitesse et de direction, le
cavalier va développer l’efficacité de ses gestes, et former sa
monture à répondre au poids des rênes. Ainsi, son contrôle s’améliorera
rapidement, faisant disparaître le sentiment d’impuissance des débuts…
Veiller à annoncer chaque demande par un léger
déplacement de la main de conduite (voir dessin). Une seconde plus
tard, si le cheval n’a pas répondu, concrétiser l’intervention
(retour au contact, jambes…). À force, l’animal remarquera le lien
de cause à effet entre les deux actions, et finira par anticiper, pour
préserver son confort, se laissant finalement conduire avec deux
doigts…
Pour une meilleure compréhension, travailler sur
des séries, où la même alternance est répétée 10 à 15 fois. Par
exemple arrêt/pas/arrêt, ou trot lent / trot rapide / trot lent,
zig-zag d’un bas-côté à l’autre, slalom entre des peupliers, des
platanes ou des cônes… Petit à petit, le cheval se prendra au jeu,
commencera à se préparer au mouvement qui l’attend, et à répondre
à l’aide “ extra-fine ”. Féliciter abondamment, faire
une pause, puis recommencer une série en apportant de petites
modifications pour améliorer l’écoute : retarder un peu
certaines demandes, ne tourner qu’à un peuplier sur deux, etc.
Les résultats ne tardent guère, car les chevaux apprécient tellement
leur liberté de bouche et de balancier qu’ils se montrent des élèves
très motivés. Une direction assistée installée à si peu de frais,
ça ne se refuse pas ! |
Encadré
Les bons gestes
Au début,le réflexe naturel du cavalier consiste à conserver une rêne dans
chaque main, méthode qui se révèle décevante : il faut faire de grands gestes, le retour au
contact est trop lent, la bouche risque de subir des saccades.
Pour pouvoir intervenir dans la seconde, avec un moelleux suffisant, les rênes
doivent être tenues, par la couture ou le flot, dans une seule main.
Lorsqu’il faut ralentir, on élève cette main verticalement, pour “ réduire
le mou ”, pendant que l’autre main descend verticalement se
poser sur les rênes, prenant ainsi le contact
sans à-coup.
Pour tourner, même scénario, sauf que la main de conduite commence par se déporter
du côté souhaité, sans reculer (= “ rêne d’encolure ”),
l’autre main venant si nécessaire agir sur la rêne intérieure, qui
devient rêne d’ouverture.
Très vite, le cheval apprend à
reconnaître l’amorce de l’intervention, et se met à obéir au
moindre déplacement de main (c’est le but recherché), évitant ainsi
une intervention plus contraignante.
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