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A la conquête de l'indépendance :

I. Affirmez-vous
II. 8 exercices

(Cheval Magazine n°347-348,  octobre-novembre 2000)

article de Véronique de Saint Vaulry

 (1ère partie). Affirmez-vous 

Vous pensiez vivre une belle amitié avec votre monture, mais un beau jour vous vous apercevez qu'elle vous préfère ses congénères ! Ne soyez pas trop déçu : avec les chevaux, c'est toujours la même histoire…

Il n'est rien de plus trompeur qu'un cheval qui évolue en groupe. Il est gentil, l'animal, il a l'air dressé, il a l'air tolérant, il n'a peur de rien. Mais qu'on l'éloigne, ne serait-ce que de quelques mètres de ses congénères chéris, et voilà la douce monture métamorphosée. Soudain, elle zigzague d'écart en écart, se bloque, s'accule, ignore les jambes, résiste aux mains. Et tout en réclamant l'attention du public à grands cris de trompettes, elle déroulera peut-être, selon ses aptitudes, un répertoire inédit de haute-école, levade, terre-à-terre, piaffer…
Honnêtement, devant un tel numéro, il y a de quoi se laisser impressionner. Tout cavalier qu'il est, l'homme tient à la vie, et la prudence l'incite à retourner assez vite vers le groupe où sa monture et lui-même retrouveront la sérénité. Mauvaise leçon pour le cheval (" je fais l'imbécile, on me cède ", voir encadré), mais est-il vraiment raisonnable de tenter un bras de fer ? En extérieur, il y souvent des cailloux pointus juste là où on tombe, et des voitures qui foncent sur les chevaux échappés. En outre, une séparation obtenue de force risque d'être mal digérée, et de déboucher sur une fébrilité maladive bien difficile à soigner… N'attendez pas d'en arriver là pour travailler sur la question.
La plupart des difficultés à prévoir sont déjà en germe dans le comportement habituel du cheval. L'isolement n'est qu'un révélateur. Autant repérer les signaux d'alerte, pour procéder à une préparation progressive qui évitera la crise. Dans la conquête de l'indépendance, la séparation n'est que la dernière étape du processus.

Devenir un groupe
Avant de chercher à résoudre votre problème, prenez le temps de comprendre le sien. Pour lui, évoluer tout seul dans la nature, c'est se retrouver à la merci des prédateurs, seul pour guetter, seul pour se défendre. Rappelons qu'il ignore que les campagnes françaises sont désormais sécurisées. Allez savoir pourquoi, il s'imagine que le loup ou l'ours ont reconquis certains massifs, et que des fauves parfois de leur cage s'échappent. D'où une certaine fébrilité, un état d'alerte permanent lorsqu'il évolue tout seul…
Ce n'est quand même pas de chance si son cavalier, agacé par tant d'hésitations, choisit justement ce moment-là pour se fâcher… Tendue comme un arc entre son angoisse et les aides, la pauvre bête se retrouve alors avec sur le dos le prédateur tant redouté. Retenue par le mors, griffée par la cravache, mordue par l'éperon, la pauvre s'affole encore davantage, scrutant l'horizon, les yeux exorbités, à la recherche d'un congénère…
Si vous étiez un humain un peu plus sage, un peu plus calme et compatissant, peut-être serait-ce vers vous qu'elle se tournerait (au figuré, du moins) lorsque la solitude lui pèse. Encore vous faut-il mériter vos galons de " congénère potentiel ". Votre obstination à lui monter dessus au lieu de lui marcher devant ne l'aide sûrement pas à créer des liens. Mais si vous décidez de mettre pied à terre, afin de gagner son estime au fil des kilomètres partagés, il faudra y mettre les formes : pour qu'elle s'aperçoive de votre présence, vous devrez exiger d'elle, avec persistance et obstination, un permanent respect des distances. Tôt ou tard, elle examinera ce fantôme sur lequel il lui est interdit de marcher, et constatera qu'il y a quelqu'un. Alors, ses congénères commenceront à lui manquer un peu moins…

Lutte d'influences
Cependant, lorsqu'elle aura le choix, elle risque de continuer à préférer la compagnie équine à la compagnie humaine. L'homme ne pèse pas lourd dans la balance face à 2 ou 3 tonnes d'équidés véritables… En groupe, le cheval montre une tendance instinctive à " suivre le mouvement " : coller aux autres, trotter quand ils trottent, sursauter quand ils sursautent, dévier quand ils dévient… De son côté, en groupe, le cavalier montre une tendance instinctive à bavarder et regarder le paysage, sans trop s'occuper de ce que fait sa monture ! Lorsqu'il finit par reprendre les commandes, il s'étonne et parfois s'agace de la voir si peu disposée à obéir. " M'enfin, je ne lui demande presque rien, et elle se permet de refuser !?"
Rien de plus logique, pourtant : le cheval est un être d'habitude. S'il a coutume " d'écouter le groupe ", sans se soucier de son cavalier, il accueillera ses trop rares interventions comme autant de perturbations. Mieux vaudrait l'entraîner à répondre en multipliant les demandes, pour faire de l'obéissance un réflexe naturel, et garder une place centrale dans son attention :

  • D'abord veiller au respect des règlements : rectifier une déviation de trajectoire, interrompre un début de trottinement, refuser un départ au trot non demandé.
  • Ensuite, donner le signal des transitions, ou des changements de direction, avant que le cheval n'ait imité les autres.
  • Enfin, lui demander de toutes petites choses, que ne fait pas le reste du groupe, pour entretenir un zeste d'indépendance : un léger zigzag, quelques pas d'épaule en dedans, 3 foulées de trot… Inutile d'exiger de lui de grandes performances pour le moment. Il faut au contraire choisir des exercices faciles, qu'il ne pourra pas refuser, et les pratiquer souvent, en félicitant à chaque fois.

Ayant pris l'habitude d'écouter son cavalier, et de lui dire " oui " régulièrement, le cheval sera mentalement prêt au décollage. Nous verrons dans la 2ème partie des exercices pour le détacher du groupe en douceur.

Encadré
À l'école des bêtises
Lorsqu'on sépare le cheval du groupe, il a peur. Parfois tellement peur qu'il peut choisir de se battre contre son cavalier, pour essayer de le convaincre de rejoindre les autres. C'est dans ce genre d'occasion qu'il risque de découvrir des défenses " qui marchent ", de mettre au point son fameux cabrer-demi-tour, ou sa ruade-dérapage-sur-l'aile, ou son trottinement-qui-n'en-finit-plus. Si le cavalier se laisse déborder ou impressionner, le procédé sera réutilisé dès le prochain différent. S'il résiste, sa monture pourrait bien inventer quelque chose de pire. Ce n'est pas méchanceté de sa part ; elle essaie seulement de préserver ses intérêts… par tous les moyens.
Mieux vaut donc bien calculer la " gravité " d'une demande de séparation, et la préparer minutieusement, pour qu'elle n'outrepasse pas ce que le cheval est capable de supporter.

Encadré
Complications
Il est des circonstances qui risquent d'aggraver notablement le manque d'indépendance :
- Si le cheval vit en paire au pré, et se promène toujours avec son compère : le fait de rester seul tourne alors au drame pour les deux acolytes, qui s'angoissent l'un l'autre en hennissant d'un ton alarmé. Mieux vaut un groupe plus nombreux au pré, et surtout des partenaires de promenade variables : le cavalier devient alors l'élément stable ce qui lui donne une chance de " se faire remarquer ".
- Si le cheval n'est monté que de temps à autre, ou que son cavalier n'est pas toujours le même, il aura du mal à créer des liens avec lui, et préférera se tourner vers ses congénères.
- Si le cavalier manque de constance, que ce soit par peur, paresse, maladresse, ou excès de gentillesse, sa monture préférera chercher un soutien plus solide auprès de ses semblables. Il est donc important de lui donner des règlements clairs et stables, et de mener chaque demande à son terme. 

(2ème partie) : 8 exercices pour conquérir l'indépendance

 Pour conquérir en douceur l'indépendance du cheval, il faut l'amener progressivement à reporter sur son cavalier la confiance qu'il n'accordait jusque là qu'à ses semblables. 

N'espérez pas faire apparaître l'indépendance d'un coup de baguette magique : c'est un travail de fond. Inutile de piocher un exercice dans la liste de suivante, si c'est pour l'essayer 2 ou 3 fois en espérant un miracle. L'indépendance est une véritable construction qui se façonne doucement, se consolide patiemment, puis s'entretient obstinément.
Qu'il s'agisse de la promener en solitaire, loin de ses congénères chéris, ou de l'éloigner du groupe pendant une sortie, 3 axes vont guider la préparation de notre trop grégaire monture, pour une séparation dénuée de stress :

  • développer des liens de confiance et de respect avec le cavalier par le travail à pied 
  • donner l'habitude d'obéir, en multipliant les petites demandes faciles 
  • aborder progressivement les évolutions individuelles, en jouant sur des allers & retours.

                             Devenir quelqu'un à pied
Si le cheval vous considère comme un bon compagnon, il cessera de se sentir seul. À vous de gagner son estime, que vous n'obtiendrez ni en le gavant de carottes, ni en lui passant tous ses caprices, mais plutôt à pied, en vous inspirant des comportements équins. S'il vous est pour le moment difficile de l'éloigner des autres, pratiquez d'abord les exercices n°2 et n°3 sur place. Quand votre contrôle se sera affirmé, vous pourrez augmenter progressivement la distance, par allers et retours : 10 mètres vers la droite, 10 vers la gauche, 15 mètres vers la droite, 15 vers la gauche, etc.

Exercice 1 : Passer devant
Marchez à pied devant votre monture - et non à côté d'elle - pour ouvrir la voie en terrain de plus en plus varié. Au fil des kilomètres, si vous ne l'entraînez pas dans des marais gluants ou sur des ponts branlants, elle commencera à vous considérer comme un leader acceptable.

Exercice 2 : Distances
Pendant tout ce travail en main, imposez-lui de garder ses distances (cheval mag n°345). Elle doit évoluer (au bout d'une longe lâche) à 60cm de vous au moins, ralentir quand vous ralentissez, s'arrêter quand vous vous arrêtez. Variations de vitesse auxquelles vous procéderez fréquemment, justement. Si vous la laissez coller, bousculer, déborder, vous vous comportez en " homme invisible ", et jamais elle ne s'apercevra que vous pourriez faire un compagnon acceptable.

Exercice 3 : Pousse-pousse
Pour exister encore davantage à ses yeux, apprenez-lui à s'effacer devant vous : éloigner ses hanches, ses épaules, son encolure, reculer. Au début, pour la décider, il faudra peut-être une pression de main, ou un petit battement de gaule, à prolonger sans l'intensifier jusqu'à ce que le mouvement s'amorce. Contentez-vous d'un seul centimètre dans le bon sens, félicitez, laissez reposer, puis recommencez. Peu à peu, la réponse deviendra plus franche, plus facile. Le but est d'obtenir ces mouvements sans toucher son cheval, simplement par indication gestuelles.

                                    Conquérir l'écoute
Croyant s'assurer une bonne relation avec leur cheval, beaucoup de cavaliers choisissent de " ne pas l'embêter ": ils le laissent brouter, trottiner, zigzaguer, dans l'espoir qu'ayant été suffisamment ménagé, il acceptera d'obéir quand ce sera vraiment nécessaire. C'est mal le connaître. Moins souvent il obéit, moins il en prend l'habitude. Il doit être entraîné à l'obéissance, exactement comme on l'entraîne pour l'endurance ou pour le saut…

Exercice 4 : Faire carrière.
Un cheval trop dépendant a besoin d'apprendre à répondre aux aides hors du " remorquage " de ses congénères. Avant d'espérer partir en balade individuellement, le cavalier doit vérifier (ou installer) les freins, l'accélérateur et la direction. Inutile de posséder de somptueuses installations, ni de chercher forcément à se mettre hors de vue des autres chevaux. Un angle de la pâture, une cour, ou le bout de chemin devant la porte du pré peuvent faire l'affaire… Demander une série de petites choses très faciles, à pied puis en selle : changements de direction simples, arrêts, départs au petit trot. Féliciter chaque bonne réponse (relâcher les aides, caresser), insister patiemment lorsque l'obéissance tarde. Peu à peu, le cheval apprend à dire " oui ", il devient plus attentif et plus disponible.

Exercice 5 : Rappeler son attention
Qu'on travaille en main ou en selle, dès qu'on le détache un peu du groupe, le cheval dépendant se met à hennir vers les autres. Ce faisant, il se crispe, sort des aides, et récolte une réponse qui l'incite à recommencer. Ne laissez pas cette spirale infernale s'installer : chaque fois qu'il hennit, donnez-lui à faire un mouvement simple, qu'il ne pourra pas refuser. Par exemple, à pied, chasser les hanches ; en selle, changer de direction.
Si vous procédez systématiquement ainsi, il préférera rapidement s'éviter la peine de hennir, ce qui l'aidera à oublier ses congénères. Vous pourrez étendre cette technique à tous les moments où il recommence à penser à eux (coup d'œil, oreilles qui pointent). À force de rappeler son attention, vous l'aiderez à s'apercevoir qu'il n'est pas tout seul, puisque vous êtes là !

                                    Ateliers de groupe
L'indépendance ne peut reposer totalement sur le travail individuel. Même la monture la mieux éduquée et la plus apprivoisée se laissera tenter par la grégarité une fois au sein du groupe. Le cavalier devra étirer patiemment " l'élastique " qui la relie aux autres, sans excès d'exigence, sous peine d'angoisse et de régression. C'est un dosage délicat.

Exercice 6 : Petit crochet deviendra grand
Pour apprendre à s'éloigner du groupe, la direction la moins inquiétante, c'est l'écartement latéral. Au lieu de suivre passivement la croupe qui vous précède, demandez donc à votre monture de faire de petits crochets. Quelques pas vers la droite, retour, quelques pas vers la gauche, retour, etc. L'idéal consiste à choisir un but concret, arbre, buisson, poteau… À condition de n'augmenter les distances que progressivement, le cheval rentrera dans le jeu, constatant qu'on revient toujours vers les autres. En prime, sa maniabilité croîtra…

Exercice 7 : Le jeu du dépassement
À jouer à deux chevaux ou plus, et sans modération… Il s'agit de se dépasser mutuellement de manière répétée. Les montures se rassurent en constatant qu'une séparation est toujours provisoire, ce qui permet alors, sans les alarmer, d'augmenter progressivement l'intervalle qui les sépare. Pour peu qu'on travaille par contrat, en restant rênes longues lorsqu'on est dépassé, et en n'intervenant qu'en cas de faute, chacune apprendra à laisser l'autre changer d'allure sans l'imiter. On peut commencer l'exercice au pas avec des dépassements au trot, puis envisager arrêt/pas, trot/galop, pas/galop, etc.

Exercice 8 : Près des autres, on bosse, loin des autres, on bulle…
Pour aider une monture irréductible à accepter calmement l'idée d'une séparation, le cavalier patient peut adopter la technique du " libre choix " à l'américaine. Poster le groupe au centre d'un vaste espace dégagé (carrière, friche..), et proposer à sa monture l'alternative suivante : travailler dur à proximité du groupe, ou se reposer à l'écart. Concrètement, on trotte ou on galope autour des autres, puis on s'en écarte au pas. Si le cheval s'énerve et veut les rejoindre, on le lui permet, mais au trot, et on recommence à travailler sans relâche autour d'eux. Avec un cheval qui supporte mal de partir seul, on peut également jouer à ce jeu devant la porte du pré.
Pour réussir cet exercice, comme pour tous les précédents, il faut se donner du temps, et rester d'humeur égale malgré la lenteur des progrès… Comment reprocherait-on au cheval d'être un cheval, alors que c'est ce qu'on apprécie le plus chez lui d'habitude ?

Bibliographie 

  • Lyons on horses (en anglais). J. Lyons. Double Day : exercices 2, 5 Problem-solving (en anglais), 

  • M. Marten, Western Horseman : exercice 8 

  • Natural Horsemanship Pat Parelli, Zulma. : exercices 3, 4, 5 

  • Communiquer avec son cheval V. de Saint Vaulry, Maloine : exercices 1, 2, 3 

  • Le Cheval d'extérieur V. de Saint Vaulry, Maloine : exercices 1, 2, 7

 

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