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Mal embouchés,

nos chevaux d'extérieur ?

*

I. Check-up
II. Choisir son embouchure d'extérieur

(Cheval Magazine n°349-350,  décembre 2000-janvier 2001)

article de Véronique de Saint Vaulry

Si le cheval n’écoute pas toujours son embouchure, ce n’est pas seulement qu’elle le contrarie, mais peut-être aussi qu’elle le gêne, le surprend, ou le fait souffrir. Un check-up s’impose.

De l’embouchure à l’instrument de torture, il n’y a qu’un pas, que le cavalier peut franchir par maladresse, par facilité, ou par ignorance. Les manèges, les carrières, mais aussi les chemins, sont remplis de bourreaux qui s’ignorent, parce que leurs chevaux ne savent pas se plaindre.
En extérieur, on voit des promeneurs à l’assiette peu sûre dont les mains s’agitent au rythme des foulées, meurtrissant la pauvre bouche qui a le malheur de se trouver au bout des rênes. Certains randonneurs montent comme en club, en gardant le contact pendant des heures et des heures, sans comprendre que des gencives trop longtemps comprimées finissent par devenir insensibles. De là à se tenir aux rênes comme un véliplanchiste à son wishbone, il n’y a qu’un pas… Mais quand l’animal - à cause de son balancier bloqué - devient craintif ou s’excite, les rênes se tendent encore plus fort, pour le tenir un peu mieux…
De son côté la bestiole n’est pas plus raisonnable. Dans cet environnement moins protégé qu’en manège, tout la pousse à gaspiller son capital-bouche, en résistant au mors ou en tirant dessus : peur, faim, grégarité ou instinct de conservation. “ Oh, quelle belle touffe d’herbe, sur le champ je dois la goûter. Aïe, le groupe s’éloigne, il me faut le rattraper. Tiens, une branche basse d’1m60… Pourquoi devrais-je la contourner, moi qui ne fais qu’1m50 au garrot ? ” Au carrefour des divergences de volontés du cheval et du cavalier, le mors répercute chaque conflit sur la bouche qui s’endurcit. Lorsque l’embouchure ne répond plus, le touriste équestre se sent bien dépourvu. Point de moniteur à ses côtés pour l’aider à comprendre l’erreur technique ou psychologique qui rend son cheval difficile à manier. De toute façon, les enseignants versés en équitation d’extérieur, ça ne court pas les chemins. À défaut, il faut bien reprendre le contrôle de sa monture dans cet univers dangereux où barbelés, macadam glissant et voitures représentent autant de pièges. Faute de savoir comment rendre la main plus efficace, on se tourne vers une embouchure plus sévère. Une vaine escalade commence, qu’aucun règlement ne viendra modérer…

Détecter l’inconfort
Qu’on ne compte pas sur le cheval pour alerter son cavalier quand l’embouchure et/ou la main sont trop dures. Ses signaux de détresse sont silencieux, ses réactions à la douleur illogiques. S’il poussait quelques gémissements stridents, lorsqu’une barre de fer trop fine lui écrabouille les gencives, ou qu’un hackamore trop bas lui coupe la respiration, à coup sûr, son cavalier comprendrait le message. Mais non, bien au contraire, l’animal se mure dans un silence indéchiffrable, et pour comble, il s’appuie sur la douleur. C'est-à-dire que le plus souvent, au lieu de céder à la sensation désagréable, il cherche à s’en libérer en poussant contre elle. La technique peut paraître un peu sotte, jusqu’à ce qu’on la replace dans un contexte de prédation : si un crocodile jailli d’un marigot vous attrapait par la jambe, en pleine brousse, que choisiriez-vous ? Céder aux avances du monstre pour avoir moins mal, ou tirer sur votre membre comme un fou, quitte à en sacrifier un bout ? Ainsi fonctionne le cheval, animal de proie et de fuite, qui donne donc souvent l’impression d’être “ malade de son embouchure ”. Quelques portraits-types :
- Le fuyard : celui-ci cesse de tenir en place dès qu’on touche aux rênes. Il tournicote sur place, pressé de démarrer, trottine au lieu de marcher, et va toujours beaucoup plus vite qu’on ne voudrait : il faut constamment le freiner (semble-t-il), même lorsqu’il est trempé de sueur, même lorsqu’il souffle comme une forge. Ce sont les chevaux très énergiques, et en particulier les races ibériques qui risquent de développer ce syndrome.
- L’inerte : il répond à la traction par la traction, et pèse sur les rênes à proportion de l’action du cavalier. Celui-ci n’obtient chaque changement d’allure ou de direction qu’à la force des bras. C’est la tendance typique des “ costauds ”: selle français, trotteurs, doubles croupes.
- Le protestataire : il supporte mal les interventions de son cavalier sur l’embouchure, et ponctue chacune de ces “ agressions ” d’un coup de tête vers le haut ou d’une plongée vers le bas, qui lui permet sans doute, en arrachant les rênes, d’obtenir une seconde de répit. Manie fréquente chez les hypersensibles, en particulier les arabes.
- L’inversé : craignant une main trop proche qui donne régulièrement de petite secousses sur l’embouchure, il garde constamment le nez en l’air et le dos creux, ce qui n’est certes pas l’attitude idéale pour porter le poids du cavalier, s’incurver dans les tournants, ou freiner en équilibre.

 

Changer de main
Constatation rassurante face à ces difficultés : si la main a créé le problème, elle doit pouvoir le soigner ! Avec un zeste d’ouverture d’esprit et deux doigts de bonne volonté, tout cavalier peut améliorer sa technique, afin de retrouver calme, légèreté et décontraction. Voici les pistes à suivre : D’abord, rendre les rênes. Car le contact permanent n’a rien de nécessaire en extérieur, au contraire : qu’on pratique la randonnée, l’orientation ou l’endurance, il y a fort peu d’indications à donner au cheval, qui a grand besoin de sa liberté de balancier : on peut le laisser rênes longues 95% du temps. N’étant soumis à aucune pression, la bouche ou le nez restent frais et sensibles, au lieu de s’endurcir. Attention, un tel résultat suppose des rênes en larges guirlandes. Car si le cavalier, comme on le voit souvent, se contente de les détendre juste un peu, c’est la catastrophe. Chaque fois que la main bouge, ou que l’encolure oscille, sa monture reçoit une vilaine petite secousse dans la bouche. La pauvre trouve ça très désagréable, car cela active à chaque fois son réflexe d’opposition : du coup, elle garde constamment la tête et l’encolure levées, se crispe en prévision de la prochaine secousse, et apprend à se méfier de la main.
Certes, de temps à autre, il faut donner des indications. Mais avant d’en “ venir aux mains ”, le cavalier a tout intérêt à avertir son cheval : une indication vocale, une pesée d’assiette, un déplacement de main sur les rênes encore en guirlandes. Si cette “ annonce ” est faite systématiquement, dans les 3 secondes qui précèdent l’intervention concrète sur les rênes, le cheval finira par y répondre sans attendre davantage, ce qui économise sa bouche. Simple et efficace. Quand il est nécessaire, le retour au contact constitue un moment délicat, nécessitant un apprentissage pour les deux partenaires : le cavalier doit veiller à le rendre progressif (cheval mag n°342) et le cheval doit apprendre à y répondre en cédant dans sa nuque, et non en levant le nez (1). Ensuite, il faut agir avec économie : pas de traction continue, mais une action “ pulsatoire ” : résister pendant moins d’une seconde, puis rendre quelques instants, avant de recommencer à résister, et ainsi de suite, ce qui permet au cheval d’obéir sans se contracter. C’est du travail, sans doute, mais chacun sait qu’un bon cheval d’extérieur ne s’achète pas “ tout fait ”. Son cavalier doit le façonner peu à peu... Il aura la monture qu’il mérite !

Encadré
Sur ce sujet, consulter :


(1) Philippe Karl, Une certaine idée du dressage, chap. D & fig.16.


Pat Parelli, Natural horse-man-ship, Zulma, p.192.


Jean d’Orgeix, K7 “ l’usage des mains ”, Jumping Vidéo ;

 

Encadré
6 mesures pour rendre la main plus polie (donc plus efficace) :

- Monter sans contact, rênes en guirlandes, tant qu’il n’y rien à demander
- Prévenir juste avant d’agir : voix, poids du corps, poids des rênes (en guirlande)
- Retour au contact progressif, jamais de saccades
- Pas de traction continue. Toujours relâcher la tension au bout d’une demi-seconde, quitte à renouveler la demande dans la seconde qui suit.
- Récompenser tout début de réponse en rendant les rênes, quitte à recommencer ensuite.
- Instaurer des contrats et des règlements clairs, et les faire appliquer avec constance.

 Choisir son embouchure

On voit de tout, sur les chemins, en matière d’embouchure. Avec mors, sans mors, avec levier, ou pas. Peu importe, en fait, à condition que le cheval respecte la main de son cavalier, et vice-versa.


Nous l’avons vu le mois dernier, nos montures ne sont guère bavardes sur le sujet. Mais à force de tenir leur langue, elles se voient bridées sans égard, meurtries, et torturées à petit feu par celui qui se dit leur ami… Au pays des mors, l’enfer est pavé de bonnes intentions :
Voilà un cavalier par exemple qui a choisi le hackamore, pour permettre à sa chère moitié de brouter à son aise. Ce qu’il ne remarque pas, étant assis derrière l’encolure, c’est que le système mal réglé comprime les naseaux, étouffant sa monture à chaque action de main. À demi suffoquée, la bête continue pourtant à brouter à chaque occasion, en résistant toujours plus à ces rênes qui lui pompent l’air.
Une autre a choisi un gros filet en caoutchouc, dans un souci de douceur. Mais est-ce encore de la douceur, lorsqu’on le voit s’arc-bouter sur les rênes et tirer dessus à bras raccourcis ?
Un troisième a décidé de monter western : il a acheté un mors (et un chapeau) western, il tient ses rênes d’une seule main, et sa monture a effectivement le même air que dans les films western : l’œil blanc, la tête qui bat au ciel à chaque action de main, ouvrant une bouche pleine de dents et de protestations muettes. Rien à voir hélas avec ces chevaux à l’encolure basse et relaxée qui profitent de la bonne équitation western…
Autant dire qu’aucune embouchure n’est satisfaisante lorsqu’elle est mal réglée, mal adaptée, ou mal utilisée. Tâchons maintenant d’y voir un peu plus clair.


Sécurité avant tout
Avec les chevaux, la douceur est toujours souhaitable : elle les rend légers, détendus, réactifs, alors qu’ils se crispent et résistent lorsqu’on les mène par la force et la douleur. Mais ce serait une erreur de croire que le choix d’un mors doux, ou d’un simple licol va constituer une assurance de douceur. En extérieur, c’est même parfois le contraire…
En effet, les montures y sont soumises à de fortes influences, qui les incitent à prendre des initiatives personnelles : rattraper le groupe, brouter, rentrer à l’écurie, brouter, dépasser la jument verte, brouter, s’écarter d’une effrayante bicyclette bleue, etc. Même le plus fin, le plus soumis et le mieux entraîné des chevaux tentera tôt ou tard, poussé par les circonstances, de désobéir. C’est inévitable. Il viendra alors tester un peu son embouchure ; s’il découvre qu’elle manque d’arguments, il risque de s’habituer à résister.
À noter que la détermination du cavalier, son sens du règlement, jouent un rôle-clé dans cette procédure. Celui qui sait ce qu’il veut et qui réagit dès l’amorce des désobéissances pourra se contenter d’une embouchure beaucoup plus légère que celui qui laisse brouter de temps à autre, trottiner de temps à autre, puis qui cherche à reprendre le contrôle, alors que son cheval a pris goût aux initiatives… Les cavaliers “ mous ” finissent avec des embouchures dures, inexorablement. À moins de perdre peu à peu le contrôle, ce qui n’est pas très prudent. Peut-on permettre à son mors d’être inefficace, entre piétons, voitures et accidents de terrain ?
Que faire si votre monture a pris l’habitude de résister à son mors ? si elle arrive régulièrement à vous arracher les rênes pour brouter, à tourner du côté où vous vouliez l’empêcher d’aller, à continuer plein galop alors que vous vous efforcez vainement de ralentir ? Par sécurité, commencez par choisir une embouchure légèrement plus convaincante (voir tableau), mais ne vous en contentez surtout pas : si vous continuez comme avant, cette embouchure-là “ s’usera ” aussi. Profitez du changement pour modifier vos méthodes de pilotage (voir l’article de mois dernier), et pour instaurer des règlements stables. Grâce à cette évolution, vous pourrez retrouver un bon contrôle, et même “ rétrograder ” d’embouchure.


Une vaste gamme
Avant d’en venir au choix de l’embouchure, rappelons qu’aucune ne peut survivre à un contact permanent. Dehors, les séances sont trop longues, et le balancier du cheval trop sollicité pour rester constamment posé sur la main (voir cheval mag n°341) Ce serait le gêner, l’endurcir, et l’inciter à la révolte ou la fébrilité. En extérieur, le travail sur des rênes en guirlandes doit être un préalable, à partir duquel un très vaste éventail d’embouchures devient accessible.
On peut rassembler dans un premier groupe tous les systèmes dépourvus de levier, qui relient directement la main du cavalier à la bouche ou au nez du cheval (haut du tableau : A-E)... Ils sont bien adaptés à l’éducation des jeunes chevaux, et aux activités de dressage supposant des phase de contact prolongé. À adopter pour le travail en carrière, ou si vous prévoyez d’insérer des temps de gymnastique dans vos promenades, par exemple un trotting nez en bas, des incurvations, des épaules en dedans... L’inconvénient principal de ces équipements, c’est qu’ils ne comportent aucun mécanisme d’amortissement : toute secousse sur les rênes est directement répercutée sur le nez ou les gencives. Si le cavalier a la main baladeuse ou des gestes trop secs lorsqu’il revient au contact, son cheval se contractera et risque de s’inverser : nez en l’air, dos creux. Autre problème à connaître : peu contraignants, ces systèmes risquent d’encourager les résistances chez un cheval conscient de sa force, insuffisamment dressé, ou motivé par de fortes influences extérieures, au point d’aboutir parfois à une dangereuse perte de contrôle.
Le deuxième groupe comporte les embouchures à levier (bas du tableau : F-J). Mal adaptées au contact permanent, elles conviennent en revanche parfaitement au cavalier qui cherche juste à se promener, rênes en guirlandes, en dirigeant sa monture au poids du cuir et d’une seule main. Les branches fonctionnent comme un amortisseur : elle divisent l’amplitude des déplacements de main du cavalier, ce qui rend ses actions plus progressives. Lorsque la main s’élève, le cheval sent venir la gourmette et peut répondre sans attendre une indication plus contraignante. Mais attention, dès que la gourmette est tendue et le contact affermi, la démultiplication opère : ne mesurant guère la pression réellement subie par la bouche ou le nez de son cheval, le cavalier court grand risque d’abuser de sa force. En hackamore, on observera alors un drôle de rictus des lèvres de l’animal, crispées en une expressive grimace. En mors western, on verra la tête se porter brutalement vers le haut, et/ou la mâchoire s’ouvrir désespérément…

Votre responsabilité croît avec la sévérité de votre embouchure. Ne vous surestimez pas.

 

 
Récapitulons…. Niveau de sévérité  contact prolongé pour dressage   conduite à 1 main  risques à connaître
A. Licol    1 à 3 selon finesse     Cheval qui s’en moque et résiste
B. Muserolle
C. Side pull
2
2
possible    moins facile   Secousses répercutées directement
Liberté de mâchoire limitée ou manque de fixité selon l'ajustage
D.  Filet

E. Filet fin  

3

        4

possible    

 très léger  (=au poids du cuir )  

moins facile    Secousses répercutées directement S’assurer que la commissure n’est pas pincée  contre la muserolle du licol quand la main agit
F. Mors espagnol   (goyoaga)  4    au poids du cuir    assez facile      Bien adapter la taille du mors à la bouche
G. Petit hackamore

  -  à gourmette cuir

 -   à gourmette chaîne

 

  4   

 5  

 

au poids du cuir  

non   

facile              Ne pas régler trop bas sur le nez

Dégager l’apophyse zygomatique

Rêne d’ouverture quasi impossible

H. Pelham  

 -  à alliances 

-  rênes sur levier  

 

   5   

    6    

 

  au poids du cuir 

    non     

 

assez facile

 facile                     

Bien adapter la taille du mors à la bouche 

Embouchure souvent encombrante, qui se place mal dans les petites bouches

I. Mors western (selon longueur des branches, finesse,  et gourmette )      6-10    surtout pas    très facile      Risque de violence et d’abus A réserver au cheval déjà parfaitement dressé Bien choisir la taille Ne pas régler trop bas dans la bouche
J. Grand hackamore
(selon longueur des branches, finesse,et gourmette)  
surtout pas très facile   Risque de violence et d’abus
Rêne d’ouverture quasi impossible
Ne pas régler trop bas sur le nez
Dégager l’apophyse zygomatique


Certains chevaux jouent à attraper les branches

Encadré 1

Méfiez-vous des apparences

Deux détails à connaître pour choisir (ou éliminer) une embouchure en connaissance de cause : plus elle est fine (mors, gourmette, muserolle), plus elle fait mal, puisque la pression est concentrée sur une faible surface. Malgré leur air léger, un licol très fin ou un tout petit mors sont donc plus sévères que des versions larges.

Autre critère de sévérité, l’aspect de surface : un matériau dur et/ou irrégulier ne va pas épouser exactement la peau du cheval, et concentrera encore davantage les pressions : une fine chaîne de gourmette, un mors “ twisté ”, un bosal, une muserolle en chaîne de vélo, risquent de faire souffrir et de blesser. De tels outils ne sont pas recommandables, surtout pour un usage de longue durée comme la randonnée.

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