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1ère partie : des déplacements bien contrôlés

2ème partie : la méthode d'approche

Franchissements difficiles en main

(Cheval Magazine,  n° 361-362 décembre 2001)

article de Véronique de Saint Vaulry

Lorsque les passages deviennent trop étroits ou trop dangereux pour rester en selle, il faut mettre pied à terre. Mieux vaut s’être préparé à cette éventualité, pour pouvoir contrôler à distance les déplacements de sa monture.

 Avec un animal aussi grégaire que le cheval, l’idée de mettre pied à terre pour franchir les passages les plus difficiles s’impose d’elle-même. On le sait, ce grand timide sera rassuré de pouvoir se cacher derrière quelqu’un, fût-ce un plus petit que lui, et lui laisser prendre tous les risques. En outre, libéré de cet excédent pondéral, il sera plus libre de ses mouvements. Enfin, s’il tombe, il n’entraînera personne dans sa chute…

Une méthode idéale, donc, pour crapahuter dans les éboulis, surfer les pentes glissantes, se faufiler sous les branches trop basses.  Aussi, comment ne pas s’étonner de voir des cavaliers qui restent en selle coûte que coûte, quels que soient la difficulté des passages et le risque encouru ! Le croirez-vous, s’ils s’incrustent obstinément là-haut au mépris du danger,  c’est d’abord qu’ils craignent de ne plus pouvoir  remonter ! C’est qu’elle se tortille au montoir, la bête, qu’elle piétine et tournicote et cherche à redémarrer : elle n’a pas lu, l’analphabète, Cheval Magazine de mai. Mettre un pied à terre, c’est risquer d’y rester…

Et puis, la selle est parfois le seul havre de sécurité. En bas, le cavalier ne contrôle pas toujours sa monture : il pourrait connaître un sort tragique quand, effrayée par une passerelle étroite, elle voudra lui sauter dessus à pieds joints ; quand elle l’écrabouillera sans remords contre un arbre en cherchant à éviter une flaque d’eau ; quand il servira de marche d’escalier après avoir dérapé dans une pente boueuse…

Contrat de distances

On paye ici, une fois de plus, la rançon d’une formation traditionnelle inadaptée. Tenir les rênes à 20 cm du mors, ça suffit peut-être pour aller du box au manège (quoique !), mais ça n’est ni éthologique, ni éducatif, ni sécuritaire. Même s’il a le bras long, le cavalier ne peut ainsi guère contraindre son cheval à garder ses distances. Et surtout, il se retrouve à la merci de la moindre glissade, de la moindre maladresse, puisque le contrôle qu’il exerce est purement physique : il tient son cheval par la tête, c’est tout. S’il le tient mal, il sera piétiné. Et s’il le tient bien, ce n’est pas mieux, puisqu’il le prive de son balancier : l’animal transporte un boulet accroché à ses gencives, qui le gêne dans sa recherche d’équilibre, l’empêche de baisser le nez pour examiner les passages délicats, et lui inflige bien souvent de petits coups dans les dents.

La solution, évidemment, c’est de « tenir » sa monture par contrat, et non par le mors. Lui expliquer qu’elle doit évoluer hors de portée de son piéton (voir encadré), en toutes circonstances, sans jamais dépasser. Un règlement qu’elle comprendra facilement, puisque les chevaux le pratiquent entre eux, et gare au coup de queue, puis de pied, si l’autre s’approche trop près  !

Mais pour le cavalier, c’est une sensation terrible de ne tenir qu’une longe longue, et si molle, avec un cheval en quasi liberté au bout. Il a soudain l’impression de ne plus rien contrôler du tout, et ses mains remontent toutes seules sur la corde pour la raccourcir au plus vite. C’est qu’il ne connaît pas encore le pouvoir des gestes, ce langage que sa monture maîtrise si parfaitement… Il lui faudra s’y entraîner patiemment, de préférence avant de s’engager dans ce taillis inextricable, ou sur cette passerelle au-dessus de l’autoroute…

Les distances de sécurité doivent devenir un vrai réflexe, aussi bien pour le cheval, qui les respectera, que pour le cavalier, qui les surveillera. Des séances d’entraînement ponctuelles ne suffiront pas. Il faut y penser tous les jours : distances le lundi, distances le mardi, et le mercredi aussi… Pas même de repos le 7ème jour… Et cela à chaque trajet en main sans exception : du bout du pré vers la barrière, de la barrière à l’anneau d’attache, de l’anneau d’attache à l’aire de douche, etc. Ainsi quand un TGV finira par le frôler sans crier gare, le cavalier pourra se féliciter d’avoir déjà expliqué à sa douce moitié qu’en aucun cas elle n’a le droit de se réfugier dans ses bras ! 

Réclamer les distances

S’il a du mal à repousser son cheval à bonne distance (voir revue n°344), le cavalier peut commencer l’entraînement à l’arrêt, pour plus de facilité. Planter solidement ses deux pieds dans le sol, et laisser  1m50 de longe détendue au cheval. Dès que celui-ci vient trop près (voir encadré), geste d’avertissement (par exemple une main levée), puis intervention plus concrète pour le faire reculer : frapper le sol devant lui avec la gaule ou lui tapoter rythmiquement le poitrail ; ou faire onduler la longe. Prolonger cette sensation désagréable jusqu’à ce qu’il esquisse un (petit) pas en arrière. Cesser aussitôt, pour récompenser. Mais dès qu’il avance de nouveau, recommencer. Il ne tardera pas à rester tranquillement posé, à bonne distance. Le cavalier peut alors commencer à se mettre en route lentement, en guettant sa monture du coin de l’œil pour s’assurer qu’elle ne le « déborde » pas. Marquer de fréquents arrêts pour qu’elle reste attentive. Dès qu’elle commence à franchir les limites, l’avertir du geste, puis, si nécessaire, la renvoyer à sa place (sans la poursuivre) par les moyens déjà décrits. Plus la vigilance du cavalier sera constante, plus vite le règlement sera acquis. 

Des manœuvres à affiner

Dans les passages délicats, il faut pouvoir contrôler les déplacements du cheval au centimètre près. Pour éviter à un sabot de se prendre dans un trou, à un jarret de s’embrocher sur un piquet, à la selle de racler une branche basse… On lui enseignera donc à se laisser déplacer en tous sens par de simples pressions ou tractions des doigts : reculer, avancer, déplacer les hanches, les épaules... C’est tout un apprentissage !  Appuyer par exemple deux doigts au poitrail, en concentrant la pression sur un seul point pour la rendre légèrement inconfortable, ou en exerçant un tapotement rythmique… Attendre (sans s’interrompre)… D’abord, le cheval va résister, s’appuyer même, guidé par son réflexe d’opposition naturel. Puis il finira par chercher une autre solution à ce « problème ». Dès qu’il esquisse un mouvement vers l’arrière, même tout petit, cesser la pression, en donnant un ordre vocal d’arrêt, et féliciter. Il n’y a plus qu’à recommencer la même procédure pour bien la confirmer, jusqu’à obtenir une réponse franche et légère. Continuer avec les autres types de déplacements, et exercer son partenaire régulièrement, jusqu’à ce qu’il devienne aussi maniable qu’un fauteuil à roulettes…

Mais son entraînement ne sera vraiment complet qu’une fois qu’il saura s’immobiliser sur ordre vocal. C’est un élément de sécurité essentiel : quand une manœuvre est mal amorcée, que le cavalier perd l’équilibre ou qu’il aperçoit soudain, les yeux agrandis d’horreur, un trou béant, ou un pieu qui dépasse, il doit pouvoir arrêter net son cheval à distance. Seule la voix autorise cette performance. C’est un apprentissage qu’on peut travailler de multiples manières : sous la selle, en longe, et bien sûr en main. Il suffit de donner d’abord l’indication vocale, puis d’obtenir l’arrêt, par l’un des multiples moyens possibles (mors, exemple, gestes…). L’octroi immédiat d’un sucre rendra cet apprentissage particulièrement aisé et solide… Répéter l’exercice jusqu’à être sûr que c’est bien la voix, et non les autres aides, qui provoque l’arrêt. Puis comme le reste, pratiquer tous les jours pour en faire un réflexe. 

Véronique de Saint Vaulry

 

Quelle distance de sécurité ?

Le cheval s’en tiendra à celle que vous saurez lui imposer, de 0 cm à plusieurs mètres ! Pour la pratique quotidienne, autant en choisir une facile à évaluer et à maintenir. Demandez-lui tout simplement de rester hors de portée ! Si vous pouvez le toucher, c’est qu’il est trop près !

 

Encadré (fin d’article)

Ces techniques de contrôle en main sont remarquablement expliquées par Parelli (livre Natural Horsemanship, Zulma) et les enseignants formés à sa méthode d’enseignement (PNH). À l’exception, malheureusement de l’usage de la voix : sur ce dernier point, se reporter à l’ouvrage de Danièle Gossin, Parler au cheval, éd. Maloine, ou à mon livre Communiquer avec son cheval, éd. Vigot.

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Franchissements difficiles en main :

2ème partie, la méthode d'approche

 

En main, quand le cheval a peur, il est important de lui laisser sa liberté de balancier, et de savoir l’encourager sans le bousculer. Mais le cavalier doit toujours garder à l’esprit sa propre sécurité : des distances, des distances, des distances !

 Avant d’aborder les passages difficiles, il faut s’assurer d’un bon contrôle du cheval en main, comme nous l’avons détaillé en décembre : maniabilité en tous sens, arrêt à la voix, et surtout, respect des distances. « C’est bien joli, me direz-vous, mais quand je décide de passer devant lui pour franchir un ruisseau, il s’arrête tout net, et sans ordre vocal ! Pour avoir des distances, ça j’en ai, mais comment le convaincre de me suivre ? ». Lecteur de peu de foi ! Avez-vous consciencieusement fait vos devoirs du mois dernier ? Si c’était le cas vous n’en seriez sans doute plus là. Explication…

Lorsqu’une monture est travaillée en semi-liberté, au bout d’une longe lâche, et qu’il lui est interdit de s’approcher trop près ou de dépasser, elle prend peu à peu conscience que son piéton « existe » : voilà qu’elle doit tenir compte de sa position, rester derrière lui, et le respecter, ce n’est plus cette quantité négligeable qui s’accrochait au mors et sur quoi on pouvait marcher ! Un humain serait furieux d’être ainsi « remis à sa place » : pas le cheval, que ça arrange bien ! Rien de plus sécurisant, que de pouvoir s’abriter derrière ce « congénère » plus assuré que lui… Il ne tardera pas à le suivre les yeux fermés… jusque dans les ruisseaux ! 

Leader charismatique

Certes, la transformation n’est pas instantanée, surtout si l’animal manquait jusqu’ici de repères hiérarchiques. Parce qu’il n’aime guère voir ses habitudes remises en cause, il protestera d’abord un peu ou beaucoup, poussant sa tête, juste sa tête, un peu trop près, posant 10 fois, l’œil innocent, un sabot hardi trop en avant. Son propriétaire devra faire preuve de suite dans les idées et de conviction, défendant son petit bout de territoire avec vigilance, pour pouvoir mériter son statut de leader…

Il faut du temps, aussi, pour forger la confiance. Ce n’est qu’au fil des kilomètres à pied que le cavalier pourra prouver qu’il sait choisir les bons terrains, trouver les meilleurs passages. S’il ne descend que dans les cas désespérés, quand son cheval est irrémédiablement planté, tremblant de peur, devant une passerelle effrayante, le résultat sera décevant. Et qu’il n’aille pas alors se mettre en colère, s’affoler ou se décourager : sa monture s’inquiéterait de son inconstance et hésiterait de plus en plus à s’en remettre à lui. Un bon leader est calme, assuré, et toujours prêt à passer devant.

En pratique, il est donc utile de pratiquer les bons conseils des manuels de tourisme équestre : faire à pied le premier et le dernier kilomètre, les fortes pentes, les terrains accidentés. Non seulement on ménage ainsi le physique de sa monture, mais on construit son mental. À condition bien sûr de constamment pratiquer le contrat de distances, mais aussi d’être inventif, en lui proposant de petits franchissements variés qui vont l’aguerrir et lui apprendre à suivre en toute tranquillité : les talus, les troncs d’une aire de coupe, les fossés qui bordent le chemin. L’avantage, lorsqu’on crée les occasions au lieu de les attendre, c’est qu’on peut faire monter très progressivement le niveau de difficulté.  

Bases d’approche

Bien sûr, il arrivera  encore au cheval d’avoir peur, et de chercher à vérifier par lui-même l’innocuité d’un passage. Aussi est-il important de lui laisser accomplir son petit rituel d’investigation, rituel déjà maintes fois décrit dans ces pages. Deux impératifs :

1.      Libérer le balancier pour lui permettre de se pencher sur la question : il aura besoin de baisser la tête, peut-être quelques mètres à l’avance, pour examiner et flairer le passage difficile : eau, passerelle, van, fossé, contrebas, pente abrupte… cette fois, il n’a plus un cavalier accroché aux rênes pour le gêner. Mais une longe tendue risque malgré tout de le bloquer (voir encadré). Il faut donc s’appliquer à la garder lâche, en n’exerçant, au pire, que des tractions brèves et intermittentes.

2.      Donner du temps au cheval inquiet : vouloir le faire aller plus vite que la musique, c’est risquer un blocage, peut-être des défenses. Aussi faut-il garder un œil sur lui, et lorsqu’il ralentit ou s’arrête, l’attendre, sans tendre la corde. On surveille la position de ses oreilles, et on ne commence à le stimuler que lorsqu’elles se détournent du but. Dès qu’elles recommencent à pointer, on cesse de stimuler. Tôt ou tard, ça ne rate jamais, le corps suit les oreilles…

 

Un moteur

Le stimuler ? comment ? Tirer sur la corde ne peut être qu’indicatif, à cause de l’effet sur le balancier. Il est donc important de disposer d’un autre moyen de réclamer le mouvement en avant. La voix constitue un bon outil de départ, mais elle n’a aucun caractère contraignant : inutile de claquer de la langue en rythme devant un cheval plus rigide qu’une statue… Donc, si ses oreilles ne pointent pas vers l’avant en réponse à l’appel de langue, il faut immédiatement enchaîner sur une autre stimulation. Avec une monture sensible ou bien entraînée, les gestes peuvent constituer la solution numéro 2 : pointer un bras vers l’avant pour indiquer la direction à suivre, lever sa cravache en direction de l’arrière-main, demander au cavalier qui suit d’écarter vivement les deux bras… Mais là encore, si le cheval ne réagit pas immédiatement, il faut passer à quelque chose de plus concret. On en arrive donc aux stimulations tactiles. Le plus naturel consiste à toucher l’arrière-main du cheval à l’aide de la gaule, du bout de la corde, ou d’un gravillon ! La difficulté, c’est qu’on peut difficilement être à la fois devant pour rassurer, et derrière pour pousser ! S’il est tout seul, le cavalier sera contraint de se tenir à hauteur d’épaule pour atteindre l’arrière-main… et n’ouvrira donc plus la voie, à moins possible d’effectuer des allers et retours, en passant devant sa monture quand elle pointe les oreilles, et en revenant la stimuler lorsqu’elle « oublie » son but.

Une solution plus pratique consiste à trouver un code tactile qui puisse être appliqué tout en restant devant le cheval. C’est le cas par exemple du tapotement de gaule au poitrail. Encore faut-il l’avoir d’abord enseigné en terrain neutre :

Commencer à tapoter rythmiquement le poitrail du cheval, en lui donnant simultanément une indication vocale impulsive, pour l’aider à comprendre ce qu’on attend de lui. Continuer ainsi sans s’interrompre, même s’il se met à reculer, jusqu’à ce qu’il ait esquissé un mouvement vers l’avant, même infime. Pause immédiate, caresse, puis recommencer. Peu à peu, le cheval acquiert le réflexe de se porter en avant dès que la cravache touche son poitrail. Ce qui rend ensuite bien service dans les passages difficiles.

Quel que soit le « moteur » utilisé, il est essentiel de cesser de stimuler le cheval dès qu’il envisage le franchissement (oreilles pointées). Si d’aventure, il choisit de reculer, il faut poursuivre les stimulations tactiles jusqu’au moment précis où il accepte de repartir vers l’avant. Une technique qui permet aussi de soigner les embarquements difficiles, soit dit en passant !

 

 

Libre dans sa tête…

Lorsque le cavalier à pied tire sur les rênes ou la longe de sa monture, il provoque un « réflexe d’opposition » : l’encolure se crispe, la tête se relève. Bien malgré lui, le cheval perd alors l’usage de son balancier, et se retrouve dans l’incapacité de baisser le nez pour examiner le passage qui l’effraie. D’où la nécessité de :

-         Déboucler une rêne pour éviter les secousses involontaires

-         Laisser du mou à cette longe improvisée

-         Et trouver un autre moyen de stimuler le mouvement avant.

Changements de positions

Selon la difficulté à franchir, on pourra choisir de laisser le cheval suivre son cavalier dans la trace, marcher décalé sur le côté, à plus ou moins grande distance, ou même, dans certains cas, passer le premier. Pour ce faire, il faut l’entraîner à répondre à des indications gestuelles et vocales correspondant à chaque cas.

Dans les terrain les plus délicats, comme les contre-hauts ou les talus, le « franchissement différé » s’impose : immobiliser le cheval au pied de la difficulté, passer, puis l’appeler.

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