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La sagesse au montoir(Cheval Magazine, mai 2001)article de Véronique de Saint Vaulry |
Un cheval immobile au montoir n’est jamais le fruit du hasard : c’est une éducation qui se décide, et qui s’entretient. Éducation sur laquelle on ne saurait faire l’impasse en extérieur. Depuis ses premiers pas équestres, le cavalier sait que le montoir est un mauvais moment à passer. Au début, c’était trop haut, il se trompait de pied, et que d’efforts démesurés ! Maintenant que le corps a grandi et s’est organisé, le montoir devrait être facile. Oui, mais voilà, le cheval bouge... Il faut sautiller sur un pied, s’y reprendre à plusieurs fois, jouer les voltigeurs, et parfois se mettre un peu en colère, ce qui n’arrange rien, pour accéder enfin là-haut. Pourquoi bouge-t-il, cet animal ? Peut-être parce qu’il garde au fond de lui un souvenir inquiet de ses premiers montoirs, effectués dans « l’obsession du mouvement en avant », au mépris du calme et sans prendre le temps. À coup sûr aussi, il redoute ce gros effort unilatéral demandé à son dos encore froid, et ce poids qui va retomber dans la selle et faire agir des aides pas toujours délicates. Et puis il sait qu’on va démarrer aussitôt : pour ne pas être en reste ni séparé des autres, il préfère anticiper. D’ailleurs, il a pris l’habitude de bouger au montoir, et, c’est bien connu, les habitudes sont faites pour être répétées avec fidélité. Il faut dire que le cavalier commet souvent une terrible erreur pédagogique : il n’explique pas au cheval ce qu’il attend de lui, il ne lui confie pas de mission, non, il se contente d’ajuster ses rênes pour l’empêcher d’avancer. Traité comme une mécanique sans cervelle, le cheval se comporte comme une mécanique sans cervelle. Par réflexe d’opposition, il avance contre ce mors qui lui tire les gencives, ou recule dans l’espoir d’échapper à sa pression, ou se rabat sur celui qui le tire par les crins. Mais d’immobilité point... Paix pour la bouche Pour soigner l’agitation au montoir, il faut s’efforcer d’offrir à sa monture le plus de confort possible lorsqu’elle reste immobile. Ce n’est donc pas une bonne idée de se précipiter sur les rênes pour les ajuster. D’ailleurs, c’est généralement à ce moment précis que le cheval, jusque là paisiblement endormi sur 3 pieds d’airain, se réveille et s’anime. Car ne rêvons pas : la main qui tient à la fois les rênes et la crinière ne peut assurer un contact délicat : ça tiraille forcément un peu pendant la pénible ascension, sur ces pauvres gencives encore fraîches et sensibles en début de travail... Quoi qu’en disent leurs humains, les chevaux préfèrent toujours avoir la bouche et le balancier libre... Voilà donc un argument de rêve pour négocier notre future immobilité au montoir : « tu restes immobile, je laisse les rênes en paix ; tu bouges, j’agis dessus ! » Il ne reste plus qu’à expliquer au cheval les termes de ce contrat. Voyant qu’il a quelque chose à gagner dans cette affaire, il ne tardera pas à se laisser convaincre. Souvent, les cavaliers formés à la méthode traditionnelle m’objectent que c’est dangereux de laisser le cheval rênes longues. Honnêtement, j’ai toujours pu observer l’inverse : des montures aux rênes bien ajustées qui se cabraient, piétinaient des orteils innocents, démarraient en trombe... Voir à ce sujet les bonds et les cabrioles qu’arrivent à effectuer les sauteurs de l’école de Vienne, avec leurs enrênements fixes... Un cheval qu’on a convaincu de rester en place est infiniment plus fiable, même piqué par une abeille, même surpris par un pétard : le frein est dans sa tête, beaucoup plus puissant qu’une action de main. En pratique, le désajustage des rênes doit être suffisant pour que la monture ressente une réelle impression de liberté : qu’elle puisse étendre l’encolure à l’horizontale sans rencontrer la moindre gêne. Le seul impératif, surtout en début d’éducation, c’est de pouvoir revenir au contact sans tarder en cas de démarrage intempestif. Opération montoir propre On ne peut guère montrer des exigences progressives concernant l’immobilité au montoir. Impossible de réduire progressivement la vitesse et le nombre de pas tolérés pendant l’opération, le cheval n’y comprendrait rien : s’il a le droit de bouger un peu, il s’imaginera qu’il peut bouger beaucoup... Seule l’immobilité totale est acceptable. Dès la première esquisse de déplacement, le bon éducateur doit s’alerter et réagir, quels que soient l’heure, le jour, et l’état des routes. Ce qui est possible, en revanche, c’est de faciliter la tâche du cheval, les premières fois : lui mettre le nez dans un angle de mur, ou dans un tas de foin, pour qu’il puisse découvrir qu’il est capable d’être immobile au montoir, que c’est agréable quand les rênes ne sont pas ajustées, et qu’arrivé en haut, le cavalier lui offre un délicieux petit sucre pour récompenser sa sagesse. Plus tard, il faudra l’écarter du mur. Rênes tenues en guirlandes, ne l’oublions pas, réclamez l’immobilité de la voix (« là » par exemple...), commencez l’opération. S’il rompt son immobilité, deux formules possibles... La première consiste à agir immédiatement sur les rênes pour rétablir l’arrêt, et à tout reprendre à zéro (retour à terre, on recommence). La seconde consiste à permettre le mouvement amorcé, mais en laissant le cheval constater que ça ne mène nulle part, au point qu’il décidera lui-même de s’arrêter. Par exemple, s’il bouge alors que vous êtes encore au sol, ne le freinez pas, au contraire, encouragez-le à tourner autour de vous, en tenant la rêne intérieure et en lui chassant les hanches latéralement, deux, trois, quatre tours, jusqu’à ce qu’il n’en ait plus envie. Permettez-lui alors de s’immobiliser. Félicitez et reprenez votre montoir là où vous l’aviez laissé. S’il bouge alors que vous êtes en l’air sur un seul étrier, ou une fois que vous êtes arrivé en selle, ne le freinez pas, mais pratiquez l’arrêt sur une rêne décrit le mois dernier : laissez-le tournicoter sur place, en résistant sur une seule rêne jusqu’à obtenir l’arrêt ; relâchez alors aussitôt la rêne. Bien sûr, avec un fou furieux, il n’est pas forcément judicieux de rester en équilibre sur un seul étrier pendant cette manoeuvre : commencez par descendre, ou par l’enfourcher. L’une et l’autre de ces deux méthodes fonctionnent très bien, à condition de les appliquer de manière têtue et répétitive. Une fois en selle, pensez à donner un sucre, et à réclamer un temps d’immobilité avant de démarrer : ce sont ces petits détails pédagogiques qui assureront la réussite des prochaines opérations.
Une décision à mûrir Si l’on décide de rééduquer sa monture, ce doit être un choix mûrement réfléchi : non seulement les deux ou trois premières fois vont réclamer de l’obstination et du courage, mais ensuite, il faudra entretenir les acquis. S’apercevoir quand un petit pied bouge discrètement, quand le cheval grignote quelques centimètres vers l’avant, quand il démarre dès la fin du montoir... S’en apercevoir et y remédier ! Il ne sait respecter que les règlements permanents. Aussi l’immobilité doit-elle être exigée le lundi, le mardi, et les autres jours aussi... Impossible de l’avoir pour les jours de TREC si on ne la réclame pas en balade et en rando. J’entends d’ici des cavaliers qui se plaignent de manquer de temps et qui préfèrent en rester là. Ils feraient peut-être bien de s’apercevoir qu’escalader un cheval qui bouge, ça prend du temps aussi, sans compter le ridicule de la situation ; le jour où ils se seront blessés, le jour où ils auront vieilli, ils regretteront de n’avoir pas mis en place cette éducation élémentaire. En outre, il faut bien l’avouer, avec un cheval qui bouge au montoir, on finit par hésiter à mettre pied à terre, et l’on reste en selle dans des endroits idiots : fortes pentes, franchissements délicats, éboulis. Est-ce bien raisonnable ?
Bien nommé promontoire... Dès que le cheval sait rester immobile au montoir, on peut lui ajouter une « option confort », pour ménager ses vieux os (et les nôtres). Au lieu de l’escalader à partir du sol, au risque de lui vriller le dos, on peut lui apprendre à s’approcher d’un promontoire pour faciliter l’opération. Pour commencer, monter sur une chaise, et faire tourner patiemment l’animal autour, jusqu’à ce qu’il soit en bonne place. Plus tard, on pourra peaufiner sa position en lui tapotant la fesse extérieure à l’aide d’une gaule, pour qu’il apprenne à se ranger latéralement contre notre piédestal : rocher, tronc, borne, talus, les bonnes adresses ne manquent pas... Très vite, il fera la manoeuvre tout seul, sans se soucier le moins du monde des jaloux qui ricanent et se moquent, du haut de leur monture aux vertèbres déplacées.
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