Bien des chevaux refusent de franchir l’eau simplement parce que leur
cavalier ne sait pas le leur demander correctement. Convaincre plutôt que
contraindre, telle est la solution.
Dans la carrière d’un cheval d’extérieur, le gué constitue une étape importante.
D’abord parce que depuis des millénaires, des fauves guettent les herbivores au
point d’eau, et que tout domestique qu’il est, le cheval s’en souvient. Ensuite
parce que les ruisseaux ne serpentent plus guère dans les pâtures, où l’eau
apparaît plutôt sous forme de poubelle et de baignoires : qui sait si ce gué,
qui vous barrre le chemin de l’Equirando, n’est pas le premier dans la carrière
de votre monture, qui risque de vous opposer un « non » ferme et définitif…
Avant de piquer des deux, réfléchissez un peu.
Cause de divorce
Que fait un cheval normalement constitué lorsqu’il aperçoit un inquiétant
serpent d’eau luisante ? Il enclenche le frein, tous les sens en alerte, les
oreilles dardées vers le monstre, qu’il scrute d’un œil exorbité. Sables
mouvants ? fauve errant ? Caïmans ? À la recherche d’un éventuel danger, il lui
faut baisser la tête et étendre l’encolure pour mieux voir, avancer le nez
jusqu’à l’eau pour la sentir et la toucher, tâter précautionneusement le sol du
pied… En espérant bien sûr qu’un leader passera devant pour prendre les risques
à sa place et ouvrir la voie d’eau !
Hélas !
Que fait un cavalier normalement constitué, lorsque sa monture ralentit à
l’approche d’un gué ? Il pique des deux bien sûr, et pousse pousse pousse la
malheureuse, puisqu’il n’y a pas de danger ! Instinctivement, la voilà qui
s’alarme de tant d’agitation, se bloque et cherche à faire demi-tour. À quoi
l’humain fait objection, de toutes ses rênes et de tous ses talons. La tête
fermement retenue 1mètre au-dessus du sol, la pauvre bête ne peut satisfaire
ses besoins d’exploration. Si elle insiste courageusement et tire sur les rênes
pour baisser le nez, son humain va le lui relever sèchement, croyant à une
tentative d’évasion. Et pan dans les dents !
Tôt ou tard, les chevaux les plus braves finissent malgré tout par accepter, le
ventre un peu noué, de s’aventurer en aveugles dans l’onde menaçante. Un
franchissement forcément en ébullition, à foulées précipitées dans les
bouillons, ou même d’un seul bond… Ça passera, se dit leur cavalier, qui se
félicite de son opiniâtreté..
Mais les chevaux les moins braves, eux, restent plantés devant l’eau, prêt à
livrer bataille pour ne pas succomber dans ce piège aux eaux troubles. C’est
souvent alors qu’ils découvrent les 101 manières de désobéir et d’intimider leur
cavalier : « Tiens, en fait, les coups de talons ne peuvent pas m’obliger à
avancer ; tiens, si je recule à toute vitesse, le gué s’éloigne ; voyons
maintenant ce que donne un beau cabrer tout droit… »
La méthode SAINT VAU
Face à la peur, autant éviter l’épreuve de force, source de protestations, de
précipitation et de mauvais souvenirs, prêts à renaître au gué suivant.
Pourquoi prendre de tels risques, alors qu’on peut convaincre en douceur même le
pire des aquaphobes ? Voici la méthode que je vous propose pour
réussir à coup sûr :
1/ Ne poussez pas :
Tandis que vous avancez en direction du gué, relâchez com-plè-te-ment toutes vos
aides impulsives (jambes, assiette, et même voix !). Dès que le cheval donne
des signes de tension, qu’il pointe les oreilles vers l’eau en ralentissant,
demandez-lui de s’arrêter. Laissez-le examiner le gué librement (voir 2/). Si
vous vous ennuyez, vous pouvez le caresser, lui parler gentiment ou lui gratter
le garrot pour l’aider à se détendre… C’est seulement s’il se relâche, qu’il
détourne les oreilles et semble se désintéresser du gué que vous lui ferez
sentir une brève pression de jambes, juste suffisante pour qu’il repointe les
oreilles vers son problème. Pas plus. N’essayez pas d’en profiter pour lui
extorquer un pas en avant ; il avancera de lui-même, quand il se sentira prêt.
Mais si !
2/ Rendez vos rênes
Pour sonder le sol et examiner l’ennemi, votre monture a besoin de toute sa
liberté d’encolure. Dès qu’un gué s’annonce à l’horizon, vos rênes doivent
s’allonger en guirlandes. Plus le cheval s’approche, plus il faut lui rendre de
rênes, pour qu’il sente qu’il peut baisser le nez jusqu’au sol sans
jamais se cogner contre le mors. Il esquissera probablement ce mouvement
plusieurs mètres à l’avance. Ne vous laissez pas surprendre, car s’il ressent la
moindre gêne, il risque de renoncer à y aller. Une fois qu’il a le nez au sol,
ce qui est un vrai signe de bonne volonté, patientez : il va avancer pas à pas,
flairant la piste comme un limier, jusqu’à entrer dans l’eau, de lui-même.
3/ En cas de demi-tour
Si les jambes sont bien utilisées, il est peu probable qu’il fasse demi-tour,
malgré sa liberté d’encolure, à moins d’être surpris par une vague ou hanté par
de mauvais souvenirs. Ne mettez alors surtout pas de jambes, et contentez-vous
d’agir calmement sur une grande rêne d’ouverture, juste pour lui garder la tête
dans l’axe du gué. Tant pis si le corps reste un peu de guingois…Relâchez
aussitôt vos rênes pour lui permettre de flairer (voir 2/). Ainsi, vous lui
expliquez gentiment où vous voulez qu’il aille, mais c’est lui qui décide de
combien de temps il a besoin.
Vous n’avez plus qu’à laisser faire tranquillement en surveillant le tableau de
bord (oreilles, axe de la tête, relâchement des rênes). La méthode marche à tous
les coups. Comme tout se passe calmement, le temps paraît long, mais
finalement, il est rare qu’on dépasse 5 minutes d’attente avec un cheval
débutant, et 10 ou 15 avec un aquaphobe multirécidiviste.
Faciliter les progrès
Une fois dans l’eau, félicitez chaudement, donnez une friandise, encouragez le
cheval à boire et jouer. S’il est déjà de l’autre côté, ce n’est pas grave,
puisque vous allez recommencer la manœuvre d’approche plusieurs fois, avec la
même méthode, jusqu’à ce qu’il entre dans ce gué sans hésiter et sans
précipiter.
Bien sûr, pour faciliter l’apprentissage, vous aurez pris quelques
précautions... Le choix d’une chaude journée, l’envoi éventuel d’un congénère ou
d’un piéton devant, et surtout, la sélection d’un bon gué d’initiation : eau
claire, peu profonde, fond dur et visible, abord plat et ferme. À noter qu’un
gué trop étroit risque d’être enjambé ou sauté. Une vaste flaque peut faire
l’affaire, à condition d’occuper toute la largeur du chemin : lorsqu’un
contournement est possible, le cheval est plus difficile à convaincre. Gardez
les complications pour plus tard, quand la confiance sera instaurée. Le pire ?
Un abord très raide, ou boueux, de grosses vagues irrégulières, des éléments
extérieurs hostiles : pêcheur qui agite sa chambrière, canoë-caïman qui
s’approche sans bruit…
Pour aguerrir votre monture, l’idéal consiste à repérer une petite rivière
accessible, et à y entrer et en sortir par des voies de moins en moins faciles,
toujours avec la même méthode d’approche. Ensuite, profiter de toutes les
occasions offertes par vos promenades, flaques, étang, ruisseaux, en évitant
soigneusement les missions impossibles (plongeon en eau profonde, marécages) qui
ruineraient la confiance…
Tous les chevaux aiment l’eau, même le vôtre. À vous de l’aider à s’en
apercevoir…
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