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Franchir un gué

article de Véronique de Saint Vaulry, rubrique « En extérieur », Cheval Magazine n°345,  août 2000


Bien des chevaux refusent de franchir l’eau simplement parce que leur cavalier ne sait pas le leur demander correctement. Convaincre plutôt que contraindre, telle est la solution.

Dans la carrière d’un cheval d’extérieur, le gué constitue une étape importante. D’abord parce que depuis des millénaires, des fauves guettent les herbivores au point d’eau, et que tout domestique qu’il est, le cheval s’en souvient. Ensuite parce que les ruisseaux ne serpentent plus guère dans les pâtures, où l’eau apparaît plutôt sous forme de poubelle et de baignoires : qui sait si ce gué, qui vous barrre le chemin de l’Equirando, n’est pas le premier dans la carrière de votre monture, qui risque de vous opposer un « non » ferme et définitif… Avant de piquer des deux, réfléchissez un peu.

Cause de divorce
Que fait un cheval normalement constitué lorsqu’il aperçoit un inquiétant serpent d’eau luisante ? Il enclenche le frein, tous les sens en alerte, les oreilles dardées vers le monstre, qu’il scrute d’un œil exorbité. Sables mouvants ? fauve errant ? Caïmans ? À  la recherche d’un éventuel danger, il lui faut baisser la tête et étendre l’encolure pour mieux voir, avancer le nez jusqu’à l’eau pour la sentir et la toucher, tâter précautionneusement le sol du pied… En espérant bien sûr qu’un leader passera devant pour prendre les risques à sa place et ouvrir la voie d’eau !
Hélas !
Que fait un cavalier normalement constitué, lorsque sa monture ralentit à l’approche d’un gué ? Il pique des deux bien sûr, et pousse pousse pousse la malheureuse, puisqu’il n’y a pas de danger ! Instinctivement,  la voilà qui s’alarme de tant d’agitation, se bloque et cherche à faire demi-tour. À quoi l’humain fait objection, de toutes ses rênes et de tous ses talons. La tête fermement retenue  1mètre au-dessus du sol, la pauvre bête ne peut satisfaire ses besoins d’exploration. Si elle insiste courageusement et tire sur les rênes pour baisser le nez, son humain va le lui relever sèchement, croyant à une tentative d’évasion. Et pan dans les dents !
Tôt ou tard, les chevaux les plus braves finissent malgré tout par accepter, le ventre un peu noué, de s’aventurer  en aveugles  dans l’onde menaçante. Un franchissement forcément en ébullition, à foulées précipitées dans les bouillons, ou même d’un seul bond… Ça passera, se dit leur cavalier, qui se félicite de son opiniâtreté..
Mais les chevaux les moins braves, eux, restent plantés devant l’eau, prêt à livrer bataille pour ne pas succomber dans ce piège aux eaux troubles. C’est
souvent alors qu’ils découvrent les 101 manières de désobéir et d’intimider leur cavalier : «  Tiens, en fait, les coups de talons ne peuvent pas m’obliger à avancer ; tiens, si je recule à toute vitesse, le gué s’éloigne ; voyons maintenant ce que donne un beau cabrer tout droit… »

La méthode SAINT VAU

Face à la peur, autant éviter l’épreuve de force, source de protestations, de précipitation et de mauvais souvenirs, prêts à renaître au gué suivant.
Pourquoi prendre de tels risques, alors qu’on peut convaincre en douceur même le pire des aquaphobes ? Voici la méthode que je vous propose pour
réussir à coup sûr :

1/ Ne poussez pas :
Tandis que vous avancez en direction du gué, relâchez com-plè-te-ment toutes vos aides impulsives (jambes, assiette, et même  voix !). Dès que le cheval donne des signes de tension, qu’il pointe les oreilles vers l’eau en ralentissant, demandez-lui de s’arrêter. Laissez-le examiner le gué librement (voir 2/). Si vous vous ennuyez, vous pouvez le caresser, lui parler gentiment  ou lui gratter le garrot pour l’aider à se détendre… C’est seulement s’il se relâche, qu’il détourne les oreilles et semble se désintéresser du gué que vous lui ferez sentir une brève pression de jambes, juste suffisante pour qu’il repointe les oreilles vers son problème. Pas plus. N’essayez pas d’en profiter pour lui extorquer un pas en avant ; il avancera de lui-même, quand il se sentira prêt. Mais si !
 

2/ Rendez vos rênes
Pour sonder le sol et examiner l’ennemi, votre monture a besoin de toute sa liberté d’encolure. Dès qu’un gué s’annonce à l’horizon, vos rênes doivent s’allonger en guirlandes. Plus le cheval s’approche, plus il faut lui rendre de rênes, pour qu’il sente qu’il peut baisser le nez jusqu’au sol sans
jamais se cogner contre le mors. Il esquissera probablement ce mouvement plusieurs mètres à l’avance. Ne vous laissez pas surprendre, car s’il ressent la moindre gêne, il risque de renoncer  à y aller.  Une fois qu’il a le nez au sol, ce qui est un vrai signe de bonne volonté, patientez : il va avancer pas à pas, flairant la piste comme un limier, jusqu’à entrer dans l’eau, de lui-même.

3/ En cas de demi-tour
Si les jambes sont bien utilisées, il est peu probable qu’il fasse demi-tour, malgré sa liberté d’encolure, à moins d’être surpris par une vague ou hanté par de mauvais souvenirs. Ne mettez alors surtout pas de jambes, et contentez-vous d’agir calmement sur une grande rêne d’ouverture, juste pour lui garder la tête dans l’axe du gué. Tant pis si le corps reste un peu de guingois…Relâchez aussitôt vos rênes pour lui permettre de flairer (voir 2/). Ainsi, vous lui expliquez gentiment où vous voulez qu’il aille, mais c’est lui qui décide de combien de temps il a besoin.
Vous n’avez plus qu’à laisser faire tranquillement en surveillant le tableau de bord (oreilles, axe de la tête, relâchement des rênes). La méthode marche à tous les coups. Comme tout se passe calmement,  le temps paraît long, mais finalement, il est rare qu’on dépasse 5 minutes d’attente avec un cheval débutant, et 10 ou 15 avec un aquaphobe multirécidiviste.

Faciliter les progrès

Une fois dans l’eau, félicitez chaudement, donnez une friandise, encouragez le cheval à boire et jouer. S’il est déjà de l’autre côté, ce n’est pas grave, puisque vous allez recommencer la manœuvre d’approche plusieurs fois, avec la même méthode, jusqu’à ce qu’il entre dans ce gué sans hésiter et sans précipiter.
Bien sûr, pour faciliter l’apprentissage, vous aurez pris quelques précautions... Le choix d’une chaude journée, l’envoi éventuel d’un congénère ou d’un piéton devant, et surtout, la sélection d’un bon gué d’initiation : eau claire, peu profonde,  fond dur et visible, abord plat et ferme. À noter qu’un gué trop étroit risque d’être enjambé ou sauté. Une vaste flaque peut faire l’affaire, à condition d’occuper toute la largeur du chemin : lorsqu’un contournement est possible, le cheval est plus difficile à convaincre. Gardez les complications pour plus tard, quand la confiance sera instaurée. Le pire ? Un abord très raide, ou boueux, de grosses vagues irrégulières, des éléments extérieurs hostiles : pêcheur qui agite sa chambrière, canoë-caïman qui s’approche sans bruit…
Pour aguerrir votre monture, l’idéal consiste à repérer une petite rivière accessible, et à y entrer et en sortir par des voies de moins en moins faciles, toujours avec la même méthode d’approche. Ensuite, profiter de toutes les occasions offertes par vos promenades, flaques, étang, ruisseaux, en évitant soigneusement les missions impossibles (plongeon en eau profonde, marécages) qui ruineraient la confiance…

Tous les chevaux aiment l’eau, même le vôtre. À vous de l’aider à  s’en apercevoir…
 

À pratiquer sans modération
La méthode d’approche décrite dans cet article ne s’applique pas seulement aux franchissement de gué. Elle permet d’aborder dans le calme tous les objets et passages inquiétants. Grâce à elle, le cheval développe sa confiance et apprend à aller de lui-même vers ce qui l’inquiète, dans un délai de plus en plus réduit, jusqu’à ne même plus ralentir. Tas de bois, véhicule,  passerelle, bâche plastique, toute source de peur devient ainsi une occasion de l’enhardir.
Pour en savoir plus sur la méthode SAINT VAU, lire "Quand le cheval a peur" Editions Vigot.
Matériel : des rênes pour l’extérieur
Pour permettre à sa monture de flairer aisément le terrain, mieux valent des
rênes de bonne longueur, qui dispensent de se pencher en avant. L’idéal
consiste donc à les choisir de dimension supérieure à la hauteur du cheval
au garrot.
copyright V. de Saint Vaulry

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