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Apprivoiser la circulation

article de Véronique de Saint Vaulry, rubrique « En extérieur », Cheval Magazine,  septembre 2001

Ennemie n°1 du cheval d’extérieur, la circulation doit faire partie de son programme d’éducation. Une prise de contact progressive et organisée permettra d’installer la sécurité à bord.

 À moins d’avoir grandi entre deux bretelles d’autoroute, un poulain normalement constitué se méfie des voitures, et on le comprend : elles sont aujourd’hui, avec l’homme, l’un de ses plus dangereux prédateurs.  Il ne fait pas bon circuler au bord des routes, car les automobilistes s’imaginent qu’un cheval a la même trajectoire rectiligne qu’un train, et le frôlent à le toucher, inconscients du risque d’écart…

Bien des cavaliers espèrent résoudre le problème en se tenant loin des axes fréquentés. Mais en se dessinant des itinéraires protégés des voitures, non seulement  ils risquent de se priver des circuits les plus appétissants, mais surtout ils négligent la formation de leur monture : plus elle sera tenue à l’écart des véhicules, plus elle risque d’appréhender leur contact. Or, même en pleine campagne, on n’est jamais à l’abri ! Quad en goguette, moissonneuse au travail, TGV surgi de nulle part... Confronté à ces objets roulants non identifiés, un cheval mal préparé grimpera à l’arbre le plus proche, ou prendra ses jambes à son cou…

Pour éviter une telle issue, pas d’hésitation, vaccination ! Il faut lui présenter des engins de toutes sortes, selon une procédure prudemment dosée, et dans des contextes dénués de risque. On en profitera pour lui enseigner le comportement qu’on attend de lui lors de ces rencontres. Au fil des progrès, le niveau de difficulté pourra ensuite monter doucement… 

Incitez-le à regarder

Face à un danger non identifié, le cheval peut réagir de 2 façons : s’enfuir ou regarder. Tout dépend de son état émotionnel, de son degré d’effroi, de la proximité du « monstre »… La prudence voudrait évidemment que le cavalier encourage l’option regarder, qui décoiffe beaucoup moins. Mais comme il n’a pas tellement confiance, il a plutôt tendance à ajuster ses rênes et à se crisper sur le frein, au cas où sa monture choisisse l’option s’enfuir. Hélas ! Voilà alors le balancier–encolure de l’animal prisonnier des rênes. Il lui devient impossible de lever la tête et de l’orienter vers le danger qui s’approche, pour bénéficier d’une vision nette et en relief. Incapable de regarder, inquiété par le resserrement des aides, il choisira évidemment la fuite, ou du moins s’y essaiera… Et dans sa naïveté, le cavalier aura provoqué l’issue qu’il espérait empêcher…

Pour éviter ce genre de rebondissement, la technique est simple :

1.      S’efforcer de trouver une aire spacieuse qui permettra de s’écarter légèrement de la chaussée.

2.      Orienter ensuite sa monture face au danger, et détendre les rênes suffisamment pour qu’elle se sente libre d’examiner l’ennemi qui approche. Au passage du monstre, faire pivoter le cheval pour qu’il reste bien de face, ce qu’il aura d’ailleurs tendance à faire tout seul.

3.      Cette orientation frontale supprime le risque de fuite en avant…S’il cherche à se détourner, intervenir sur le champ, en ramenant sa tête face au véhicule par une large rêne d’ouverture aussitôt relâchée.

4.      Pendant tout ce temps, le caresser, lui gratter vigoureusement le garrot (effet décontractant), prononcer des paroles apaisantes, et penser de temps à autre à respirer.

Cette méthode donne toute satisfaction en cas de rencontre inédite, de peur modérée, mais ne suffit pas pour un cheval réellement traumatisé par les véhicules. Celui-là, mieux vaut bien sûr ne pas l’emmener au bord des routes avant d’avoir entrepris une prudente campagne de familiarisation. 

Faites les présentations

Car pour notre grand timide, quoi de plus effrayant que ces engins bigarrés et brillants, qui grondent, sifflent et soufflent en vous fonçant dessus ? Il faudra du temps pour le convaincre que le monstre est pacifique, et qu’il n’y a pas dans le moteur un tigre prêt à l’attaquer…

Plutôt que de s’arracher les cheveux à la recherche de solutions compliquées, le cavalier peut exploiter ce qu’il a à portée de main : avant de faire rencontrer à sa monture un 36 tonnes en bord de Nationale, a-t-il pensé à lui présenter sa propre voiture ? à l’emmener visiter le parking du club ? à lui laisser flairer le van dans lequel elle embarque régulièrement ? Contre la peur, il faut toujours procéder par de petites doses fréquentes et bien digestes : un cadre familier, des véhicules immobiles, du temps, voilà par où commencer ! Même si l’animal semble modérément inquiet de ce voisinage, vous verrez qu’il hésitera probablement à faire les derniers pas, puis qu’il flairera longuement chaque engin, sous toutes les coutures… Preuve que le monstre l’inquiète, et que l’opération s’imposait !

Comment vous y prendre pour faire ce genre de présentation ? Repérez un véhicule garé dans un endroit dégagé. Approchez le cheval en main, ou monté, en lui laissant du temps : ne le stimulez pour avancer que s’il détourne les oreilles et semble se désintéresser de l’engin. Pendant toute cette approche, détendez largement la longe - ou les rênes – pour garantir une parfaite liberté de balancier : le premier contact se fera sans doute du bout du nez prudemment pointé au bout d’un balancier étiré… Encouragez de la voix, caressez, sucrez, prenez votre temps, et ramenez patiemment le cheval face au véhicule chaque fois qu’il cherche à s’en détourner. Faites-en le tour, en incitant l’animal à mettre et remettre le nez dessus. Assurez-vous simplement de la sécurité des deux intervenants : que le mors ou le mousqueton de longe n’aillent pas rayer la carrosserie, que le cheval enhardi ne gratte pas les jantes avec sonantérieur, qu’il ne se coince pas une rêne dans le rétroviseur, etc.

Une fois l’inventaire complet, écartez-vous, puis revenez plusieurs fois vers ce même véhicule, pour vous assurer qu’aucune crispation ne subsiste. Si tout va bien, repérez-en un autre et recommencez, ce jour-là ou le suivant… Vous continuerez ainsi chaque fois qu’une occasion se présentera : tonne à eau dans un pré, benne à maïs, pelle mécanique, que de merveilleuses rencontres on peut faire dans la verte nature ! Sachez en profiter. Au fil des contact, votre cheval se rassurera, et apprendra la bonne procédure : « j’ai peur, je vais voir !». 

Moteur !

Quand toute crainte a disparu face aux engins passifs, mettez de l’animation… Faites preuve d’imagination ! Commencez par offrir à votre élève un pré en bord de route, où il mènera son éducation à son rythme. Démarrez ensuite le moteur de votre propre voiture, et faites-la-lui derechef visiter sous tous les angles. Demandez à un ami compatissant de se mettre au volant  et de passer près de vous avec précautions d’abord, puis de plus en plus naturellement, puis en klaxonnant. Enfin, envisagez quelques séances d’approche d’une route à grande circulation, en choisissant un chemin perpendiculaire à celle-ci. Vous vous posterez d’abord à bonne distance, et laisserez votre monture regarder, jusqu’à décontraction complète. Quelques pas en avant, nouvel arrêt, et ainsi de suite, jusqu’à vous retrouver tout au bord, avec un partenaire pleinement relaxé. Un autre exercice consiste à décrire des allers et retours, sur ce même chemin, en se rapprochant peu à peu du but. Pendant toutes ces phases, surveillez l’état émotionnel de votre partenaire : s’il se tend,  tête haute, il faut réduire la difficulté…

 

Et vous, êtes-vous maître du véhicule ?

Les premières réactions de peur sont souvent des signaux d’alerte… Si votre cheval vous embarque ou vous promène à chaque rencontre vrombissante, ne vous contentez pas de le familiariser avec les véhicules : faites aussi du dressage ! Apprenez-lui à mieux répondre à vos aides, travaillez à devenir plus efficace, et envisagez peut-être également de vous équiper d’outils un peu plus sérieux (mors, cravache). C’est de votre vie – et de la sienne - qu’il est question.

Sur des rails

Même lorsque le cheval n’a plus peur des voitures, le danger peut encore venir des écarts. Si votre monture est surprise par un oiseau ou un chien dans la haie, elle pourrait bien sauter à pieds joints au milieu de la route, croyant s’y mettre en sécurité ! Pour éviter ce genre d’erreur, établissez avec elle un contrat de trajectoire, en lui apprenant à rester d’elle-même sur le bas-côté. Par ailleurs, abstenez-vous soigneusement de la pousser en avant lorsqu’elle donne des signes d’alerte : ce serait l’obliger à faire un écart. Mieux vaut l’attendre un peu, pour qu’elle puisse se rassurer et passer sans dévier (voir Cheval Magazine n° 346).

 

 

copyright V. de Saint Vaulry

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